DROIT et JUSTICE – Caractéristiques du droit VIÊTNAMIEN
PIERRE HUARD1 & M. DURAND2
Le droit viêtnamien ancien a été longuement commenté dans les études classiques de Philastre3 (1869-1876) et de R. Deloustal 4 (BEFBO, 1908-1913).
Caractéristiques du droit viêtnamien
1 ° Ni jurisprudence, ni doctrine.
2° La loi exprime la volonté du souverain. A ces injonctions s’ajoutent les exigences aussi impérieuses de la coutume qui règlent, dans le même esprit que le code, les problèmes non prévus par lui.
3° La loi néglige presque toujours les règles générales et ignore les principes abstraits. Elle est l’expression d’une éthique vécue, vivante et réaliste, d’inspiration confucéenne et laïque.
L’Occident a le sens du droit et des droits qui sont garantis à chacun et que chacun peut réclamer. L’Extrême-Orient parle au contraire sans cesse des devoirs que chacun doit remplir. Plus que le sens du droit, le sens du devoir lui a paru constituer la base d’une morale efficace.
Ainsi, la loi exprime une confusion constante du droit et de la morale. Elle n’est qu’un moyen de moraliser l’individu, la famille ou le peuple. Ceci explique la pauvreté du droit privé, son caractère uniformément pénal, l’absence de procédure jà l’exception du code Trịnh-Cương5 (1709-1729)], d’avocat et de formalisme juridique. Les préoccupations du moraliste ne sont pas celles du jurisconsulte. Ainsi la notion de devoir efface ou domine celle de droit et la réglementation de l’ordre public paraît beaucoup plus importante que le souci des intérêts privés.
4° Les principes moraux essentiels, codifiés par le législateur, s’inspirent essentiellement de la doctrine de la piété filiale et du sentiment de respect.
Ils ne s’inspirent d’aucun précepte religieux. Mais le législateur moraliste a su leur conférer un prestige quasi religieux en les étayant sur la toute puissance des rites et sur l’appareil des sanctions pénales.
5° Les devoirs de chacun sont fixés suivant sa condition et celle des tiers.
Chacun doit avoir, à tout instant, une appréciation exacte et licite de son importance et de celle d’autrui dans la hiérarchie sociale.
6° Les principes essentiels du droit public sont le principe d’autorité du souverain législateur ; celui de la responsabilité hiérarchique des notables et celui de la responsabilité collective des corps sociaux.
70 L’origine du droit est la raison naturelle ; la base, un sentiment humain qui vise à assurer la bonne marche de l’État en améliorant la moralité individuelle et en renforçant les liens sociaux (1).
8° La notion de caste est étrangère à la pensée sino-viêtnamienne. Une forte personnalité, une popularité indiscutable et des présages permettent à l’homme le plus pauvre de s’élever aux plus hautes positions sociales.
9° La notion de race paraît également peu importante pour les Vietnamiens.
Malgré les brutalités inévitables de la conquête, certains Viêtnamiens surent gagner la confiance totale des Moïs (2). II est également utile de noter la façon dont sont traités les Mois en cas de délit. En principe, après leur acte de soumission, les gens « hors civilisation “ deviennent sujets de l’empereur et doivent être jugés d’après la loi ordinaire pour montrer que le souverain ne fait pas de différence avec les étrangers. C’est la lettre du code Ming6, adopté par Gia-Long7 et c’est celle du Droit international moderne qui donne à la souveraineté territoriale une importance énorme. Mais ce n’est pas son esprit.
Même quand l’empereur proclame que, venus en Chine ou au Viêtnam, les étrangers doivent en observer les lois, on sent qu’on affirme là un devoir qui s’imposait à eux et auquel ils ont manqué, beaucoup plus qu’un droit du prince à faire observer son code pénal par tous entre les limites de ses frontières.
L’idée profonde paraît être qu’il est naturel qu’un individu soit en tout régi par sa propre loi. Et en Chine, par la vertu de très anciennes conceptions, ce qui est naturel s’impose aussi en matière de Droit. C’est ainsi qu’en définitive, en Chine, les barbares coupables de délits sont souvent jugés suivant leurs propres coutumes. Nous voyons une réaction analogue chez l’empereur Minh-Mệnh8 qui, ayant à juger un crime commis par des Moïs, annote le rapport des fonctionnaires provinciaux en se prononçant pour une peine plus légère, non conforme au droit viêtnamien, mais conforme à la coutume moi.
10° Sous des imperfections techniques évidentes, transparaît assez bien l’idéal qui inspire le législateur ou le juge sino-viêtnamien traditionnel. Le législateur formé à l’école de Rome visera avant tout à élaborer un précepte général, valable pour un grand nombre de cas, clair pour le juge comme pour le justiciable, en un mot un outil intellectuel maniable, un moule assez rigide pour que la réalité des choses y prenne une forme reconnaissable en venant s’y couler. Au contraire, le législateur sino-viêtnamien sera satisfait d’une solution concrète et limitée qui lui paraîtra suffisante pour le cas d’aujourd’hui ; que se présente une hypothèse voisine, mais différente, que revienne la même hypothèse, mais éclairée autrement par d’autres circonstances, on trouvera une solution nouvelle qui succé dera à la premi ère par simple juxtaposition. Au premier, les principes abstraits seront un instrument indispensable. Le second ré pugnera presque à tirer des déductions des principes, même que, faisant un Code, il n’a pu s’emp êcher de poser (R. P. Bonnichon).
Les pratiques judiciaires
En cas de crime, le magistrat instructeur se référait à un code de médecine légale, d’inspiration chinoise, donnant de nombreux dé tails sur la manière de faire une levée de corps et un rapport médico-légal.
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(1) TRẦN-VĂN-CHƯƠNG, Essai sur l’esprit du droit sino-annamite, thèse, Paris, 1922.
(2) BÙI-TÁ-HÁN, Nord Viêtnamien, sous le règne de Lê-Chánh-Hòa (1680-1705), devint Gouverneur du Quảng-nam. Les Moïs lui obéissaient au doigt et à l’oeil. A sa mort, survenue en l’année Mậu-thìn, un temple fut érigé à son culte et, pendant longtemps, les Moïs lui adressèrent des prières (Revue Indochinoise, 1904).
REMARQUES :
1 : PIERRE HUARD (1901, Bastia – 1983, Paris, 82 ans) est un médecin (chirurgien et anatomiste), historien de la médecine et anthropologue français, longtemps en poste en Indochine, doyen de plusieurs facultés de médecine (Hanoï, Paris), recteur de l’Université de Cocody, pionnier de l’histoire de la médecine.
Voir tous les details: Pierre HUARD.
2 : MAURICE DURAND (1914, Hanoi – 1966, Paris, 52 ans) était un linguiste franco-vietnamien né à Hanoï.
VOIR TOUS LES DÉTAILS, SVP: Maurice DURAND.
3 : PAUL-LOUIS-FÉLIX PHILASTRE (7/2/1837, Bruxelles – 11/9/1902, Buyat-Beayeau, France) était un diplomate et érudit français. Dans les livres d’histoire royale du Vietnam, il s’appelle Hoắc Đạo Sinh (霍 道 生). Il est diplômé de l’Académie Navale Française (1857) et a navigué sur l’Avalanche en Cochinchine (1861). Il est nommé Inspecteur des affaires indigènes (1863) et Directeur (1863) dans le delta du Mékong. Il dut rentrer en France (1868) pour cause de maladie. PHILASTRE a servi comme Commandant du régiment d’artillerie défendant Paris pendant la Guerre franco-prussienne et la Commune de Paris. Il retourne en Indochine (1873) et participe à la réconciliation entre le Gouvernement colonial français en Annam et la Cour de Hue. Il participe aux négociations avec la Cour d’Annam pour signer le Second Traité de Saïgon (1874). Il servit également au Cambodge et quitta l’Indochine en 1889.
PHILASTRE est l’auteur d’un certain nombre d’ouvrages sur les études vietnamiennes, la sinologie – le plus important, la première traduction française de la traduction de la Yiying et la traduction complète du Code Gia Long en français.
VOIR TOUS LES DÉTAILS, SVP: Paul-Louis-Félix PHILASTRE.
4 : RAYMOND DELOUSTAL (20/11/1872, Marseille – 1933, Aix-en-Provence) arrive à Indochine avec sa famille le 26 /12/1888. Il est officier administratif le 1/5/1892 et entre dans l’armée (1893). De retour au service judiciaire (1895) et nommé greffier de 3e classe, il étudie très tôt le vietnamien et obtient des diplômes d’annamite (en 1896), de cantonais (en 1896) et de cantonais (en 1896). Il a travaillé comme interprète de première classe du Ministère de la Justice (1902) et a été l’interprète principal de la troisième classe (1903), de la cinquième année (1907), de la première année (1909).
Il rentre en France (1910) en congé administratif. Il a étudié l’annamite à l’École de Langue orientale et a occupé ici de 11/1910 et à fin 1913. Il se rend au Tonkin (en 1914) pour travailler comme interprète chargé du service d’interprétation à la Cour d’appel de Hanoï. Il participe à la Guerre mondiale I avec le grade de sergent et est envoyé en Chine (1917) et rentre en France en 11/1917. Il tombe malade et reste à Métropolis jusqu’en 1922. Il prend sa retraite le 1/1/1925.
C’est un fonctionnaire sérieux, travailleur et dévoué avec une parfaite connaissance de l’Annam et des caractères chinois et dégage une grande humilité.
5 : TRỊNH CƯƠNG, Trịnh Chù (鄭 棡, 9/7/1686, Đông Kinh, Đàng Ngoài, Đại Việt – 20/12/1729, Đông Kinh, Đàng Ngoài, Đại Việt, 43 tuổi), thụy hiệu là Hy Tổ Nhân vương (禧 祖 仁 王), miếu hiệu là Hy Tổ (禧 祖), là vị Chúa Trịnh thứ 5 (thời Lê Trung Hưng). Khi mới 15 tuổi (năm 1700), ông được phong làm Phó tướng Phổ An hầu và thăng Đô đốc Phổ quận công (năm 1702, lúc 17 tuổi). Ông cai trị Đại Việt (tháng 5/1709 – tháng 10/1729) – 20 năm tương ứng với các triều vua Lê Dụ Tông (1705-1729), Lê Duy Phường (1729-1732). Đây là thời kỳ thái bình. Ông chăm chỉ lo việc nước (xây đê điều, cấp ruộng công, cải tiến thi cử, khích lệ mua bán, …) và trọng dụng 3 đại thần (Lê Anh Tuấn, Nguyễn Công Cơ, Nguyễn Công Hăng). Ông đạt thành tựu – đòi lại được 120 dặm đất đai của 2 châu (Vị Xuyên, Thủy Vĩ) bị Nhà Thanh (Trung Quốc) chiếm đóng. Tuy nhiên, ông vì ham thích tuần du nên đã đề ra các công trình xây dựng tốn kém chỉ nhằm mục đích phục vụ nhu cầu cá nhân, đã khiến nhân dân phải chịu đói khổ và gây ra mầm mống suy vong cho triều đình Đại Việt. Trịnh Cương chết (năm 1729) và con là Trịnh Giang lên nối ngôi; triều Lê trung hưng chính thức đi vào con đường suy vong.
6 : Nhà MINH …
7 : GIA LONG (嘉 隆)Hoàng đế (8/2/1762, Huế, Đại Việt – 3/2/1820, Huế, Việt Nam, thọ 57 tuổi) đăng quang: 1780, trị vì: 1802-1820; tên húy: Nguyễn Phúc Ánh (阮 福 暎)- Niên hiệu: Gia Long (嘉 隆) – Thụy hiệu: Khai thiên Hoằng đạo Lập kỷ Thùy thống Thần văn Thánh võ Tuấn đức Long công Chí nhân Đại hiếu Cao Hoàng đế (開 天 弘 道 立 紀 垂 統 神 文 聖 武 俊 德 隆 功 至仁 大 孝 高 皇 帝) gọi tắt là Cao Hoàng đế – Miếu hiệu: Thế Tổ (世 祖).
8 : MINH MẠNG (明 命) (25/5/1791, Gia Định, Đại Việt – 20/1/1841, Huế, Đại Nam, thọ 49 tuổi), Nguyễn Thánh Tổ Hoàng đế Đại Nam, trị vì: 14/2/1820 – 20/1/1841 (20 năm, 341 ngày); tên húy: NGUYỄN PHÚC ĐẢM (阮 福 膽), Nguyễn Phúc Kiểu (阮 福 晈); niên hiệu: Minh Mạng (明 命): 1820–1841; thụy hiệu: Thể thiên Xương vận Chí hiếu Thuần đức Văn vũ Minh đoán Sáng thuật Đại thành Hậu trạch Phong công Nhân Hoàng đế – gọi tắt: Nhân Hoàng đế (體 天 昌運 至 孝 純 德 文 武 明 斷 創 述 大 成 厚 澤 豐 功 仁 皇 帝); miếu hiệu: Thánh Tổ (聖 祖).
NOTES :
◊ Source: Connaissance du Vietnam, P. HUARD & M. DURAND. Paris, Imprimerie Nationale. École Francaise d’Extrême-Orient, Hanoi, 1954.
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BAN TU THƯ
03 /2022