L’HABITATION vietnamienne – Partie 1
L’ habitation privée
Les maisons viètnamiennes sont avant tout des maisons familiales et des maisons de culte, préservées des regards curieüx par des haies, des touffes de bambou ou des murs et ne communiquant avec l’extérieur que par une porte latérale, quelquefois difficile à trouver. Surtout dans le Nord, loin d’être des cases ou des « paillotes » élevées au hasard, ce sont des constructions solides, dans lesquelles on reconnaît un style et le désir de créer quelque chose de durable et d’harmonieux. Elles n’ont rien à envier aux habitations paysannes de nombreuses contrées de l’Europe (P. Gourou).
La maison viêtnamienne, posée à même le sol, se différencie des maisons laotiennes, cambodgiennes, indonésiennes ou japonaises, presque toutes juchées sur un système de pilotis, plus ou moins développé, comme dans les anciennes habitations préhistoriques lacustres de la Suisse ou de l’Italie. Néanmoins, dans le Sud Vietnam, on peut voir des maisons sur pilotis dans les provinces de Bac-liêu et de Châu-doc. Malgré de nombreuses variétés, témoignant de l’existence d’influence locale (cham dans le Centre Viêtnam; chinois et khmer dans le Sud Viêtnam), l’habitation viêtnamienne reste fidèle à un schéma général venu du Nord. Aussi est-ce dans le delta du Fleuve-Rouge que l’architecture viêtnamienne, plus robuste, plus puissante et plus massive qu’ailleurs est représentée par ses types les plus expressifs.
A. Orientation
Construire une maison était un acte important pouvant grandement influencer, en bien comme en mal, l’avenir de toute une famille. Il y a un jour favorable ; il y a des dimensions favorables ; il y a un endroit favorable ; il y a des rites à observer au cours de la construction, grâce à l’observation desquels le propriétaire aura fortune, honneur et longévité..
Adopter une bonne orientation assure de grands profits (coi hướng đại Iợi). Il faut donc que le géomancien (thầy địa lý) cherche, « parmi les montagnes et l’eau “, un endroit propice (tìm nơi sơn thủy hữu tình).
Les rites fixaient non seulement l’orientation et le site géomantique de la maison, mais encore la disposition des pièces et parfois le nombre des travées.
B. Dispositions générales
L’habitation vietnamienne est un ensemble de bâtiments, de communs, de cours et de jardins. Chaque partie prise isolément est sans grand caractère. Mais le tout se raccorde admirablement avec le paysage ambiant. Dans la maison de Hué (R. P. Chapuis et A. Craste), on peut distinguer :
a. Une clôture, constituée par des murs ou une haie ;
b. Des portes d’entrée (cửa ngỏ) de deux modèles, l’un courant en bois (cửa phòng môn), l’autre charpenté ou maçonné (cửa tam quan) et couvert en tuiles. Dans ce cas, elle a trois arches ;
c. Un écran, binh phong (ce qui met à l’abri du vent), élément de défense magique.
L’habitation comprend un ou plusieurs bâtiments. Dans le bâtiment unique, la travée du milieu (quand il y en a trois) ou l’unique travée de la maison carrée (nhà vuông) constitue la partie accessible à tous, à la fois salon, salle à manger et temple des ancêtres. De chaque côté sont des chambres pour les femmes et des magasins. Les bâtiments multiples sont au nombre de trois disposés en U. Le bâtiment central a la destination de la travée du milieu dans le bâtiment unique. Il sert, en outre, de logement au chef de famille. Les deux autres bâtiments placés en aile, mais non accolés au bâtiment principal, servent au logement des femmes (généralement côté Est) et à celui des hommes (côté Ouest). Les dépendances de la maison sont toujours séparées de l’habitation. Elles comprennent :
a. La cuisine, l’habitation des domestiques, les magasins, les écuries;
b. Les réserves d’eau : grandes jarres chez les pauvres; bassins (bể cạn) chez les riches. Ces bassins, fleuris de lotus, ornés de rochers et de jardins en miniature, égayent la cour et le jardin. Dans la région de Hué, chaque maison a son puits;
c. Les autels ou pagodons (cói tràng), placés dans les cours et jardins. Ce sont des poteaux, surmontés de planchettes supportant le vase aux baguettes d’encens et les offrandes ou, mieux encore, d’élégants pagodons en charpente ou en maçonnerie décorée. Quelquefois, ils sont érigés sous les ramures d’un banian (cây đa) ou au bas de la pente d’un toit;
d. Le jardin, d’assez petite étendue, a souvent un tracé et une forme imposés. Bordé de haies bien découpées, il contient des arbustes taillés en forme de grues ou d’autre animaux symboliques. Il se continue souvent par un verger formé d’aréquiers, de bananiers et d’arbres fruitiers qui se superposent et se raccordent avec les grandes lignes du paysage. Il n’a pas la stylisation du jardin japonais ou chinois.
C. Structures
Si nous continuons à prendre pour exemple la région de Hué, on peut distinguer différents types de maison.
1° Nhà rội
Nhà rội, maison couverte rarement de tuiles, généralement couverte de chaume (nhà tranh) ou de feuilles de rotin et de latanier (nhà lá).
La maison à deux fermes est une maison carrée (nhà vuông). A deux, trois et quatre fermes, elle prend le nom de nhà hai căn, nhà ba căn et nhà bốn căn; căn désignant l’entrecolonnement (Fig. 94).
Les colonnes de soutien du toit sont en bambou ou bois ordinaire et enfoncées en terre.
La paillote a pour plancher le sol battu. Les parois sont des lattes de bambou recouvertes de torchis. La maison est constituée par un ensemble de travées, comprenant généralement trois travées pleines et deux travées d’extrémités ou appentis. Les travées centrale et”médiane contiennent le temple des ancêtres.
Les deux cents espèces de bambou connues au Viêtnam se divisent en deux catégories :
1° Bambou mâle à parois, épaisses (type hóp, bambou tuldoide) et bambou à fleurs (tre hoa) et;
2° Bambou femelle à parois minces (type nứa, Arundo fax). Les bambous mâles servent à la confection des poteaux et de toutes les pièces de charpente. Les bambous femelles sont utilisés pour la confection de cloisons tressées (cái phên, cái cót) et de liens pour brêlage (cái lạt).
La panne faîtière s’appelle « vie » (sanh) ; les inférieures se dénomment suivant un ordre immuable : tật ou lão (infirmité, vieillesse), bệnh (maladie) et tử (mort). Chaque série de pannes doit être complète, ce qui donne une surabondance inutile (Fig. 94).
2° Nhà rường
Nhà rường. — Elle est caractérisée par la présence dans chaque ferme de deux colonnes maîtresses (cột mẹ), reliées entre elles par un entrait (trếnh ou trính). L’arbalétrier (kèo) s’appuie sur les colonnes maîtresses et sur les colonnes de deuxième rangée (côt nhí). Noter également que les colonnes ne sont pas enterrées, mais reposent sur des bases de pierre taillées et quelquefois décorées. C’est une des rares utilisations de la pierre dans l’habitation viêtnamienne. Les colonnes maîtresses, l’entrait et l’arbalétrier sont toujours en bois de charpente : le lilas de Chine (xoan, Melia azedarach), que sa résine amère défend contre les fourmis blanches ; le chêne viêtnamien (gỉe lõi); le châtaignier (gỉe gai) ; le pin, thông (Pinus sinensis) ; le sông xanh (Tetranthera des Laurinées). Dans les temples et les constructions de luxe, les bois de fer sont employés : lim xanh (bois de fer, erythrophlée), sến mật (Peltophore des Diptérocarpées), gụ sừng (Sindora tonkinensis), táu mật ( Vateria des Dipterocarpées).
Les colonnes de deuxième etyde troisième rang peuvent être en bambou et seul un charpentier de métier peut construire une telle maison. Suivant le nombre de fermes on peut avoir les types suivants :
+ Nhà hai căn (3 fermes; a entrecolonnements) ;
+ Nhà ba căn (4 fermes; 3 entrecolonnements) ;
+ Nhà bốn căn (5 fermes; 4 entrecolonnements).
La couverture a la forme habituelle d’une croupe (quatre toits) qui passe pour bien résister aux typhons.
Beaucoup de maisotis ne comportent pas un seul bout de métal. Les assemblages se font à tenon et à mortaise. Les portes et lès fenêtres ont des bâtis à pivot tournant sur des lisses hautes. Les fermetures se font avec des barres. Les clous sont remplacés par des chevilles en bambou.
3° Nhà thượng rường hạ rội
Nhà thượng rường hạ rội. — Ce type est une fusion des deux types précédents. La ferme est du type rwomg et le point d’appui du modèle rội.
4° Nhà lầu
Nhà lầu. — Ce sont les maisons de ville à l’européenne, sans colonnes avec des murs extérieurs maçonnés. Dans les rues commerciales, les façades étaient très étroites de façon à donner le plus grand nombre d’étalages. La maison gagnait en profondeur ce qu’elle perdait en largeur. A Hanoi, par exemple, certains magasins de trois à quatre mètres de façade constituent la partie antérieure d’immeubles de trente mètres et plus de profondeur. Pour éclairer ces maisons trop profondes et drainer les eaux des toitures, il a fallu faire alterner des pièces closes et couvertes avec des cours à ciel ouvert, égayées par des jardins en miniature, des touffes de bambou, des pagodons et des arbres nains. Une citerne centrale ou latérale divise souvent la cour en un ou deux passages couverts (nhà cầu).
Le cloisonnement intérieur de l’habitation est réalisé par des panneaux de bois de gu (Sindora tonkinensis), de kiên-kièn ( Adenanthera microsperma) et de mít (jaquier : Artocarpus), souvent sculptés et même incrustés de nacre. Les fenêtres sont rares et petites. Mais ia façade principale donnant sur la cour d’entrée n’est composée que de portes et peut s’ouvrir complètement (Fig. 95).
Les pièces sont petites, très obscures et encombrées. L’autel des ancêtres, les tables, les lits de camp et les coffres donnent un caractère particulier à ces intérieurs dont quelques-uns sont très décoratifs.
Toute famille devait avoir une table des sacrifices (giuờng thờ), incrustée et laquée, ou simple planche vermoulue sur laquelle sont déposés les objets nécessaires au culte des ancêtres. Toute famille pratiquait également le culte des génies, particulièrement de ceux qui lui sont propres : Tiên-sư, le maître antérieur ; Thổ-công, le génie du sol ; Táo-quân, le génie du foyer et de la cuisine ; Mụ Bà, la déesse de l’enfantement, patronne des femmes; Bà cô, les femmes qui sont mortes sans enfants ; enfin, certains génies comme Quan Thánh, le Génie de la guerre. Ce culte est rendu devant des niches-autels situées à l’intérieur de la maison ou à des pagodons érigés dans le jardin.
D. Ornementation
Les maisons des personnes de condition ordinaire ne pouvaient être ornées (Code Gia-Long, t. IX, art. 156). Toutefois, trois points pouvaient être décorés : les extrémités de l’arête faîtière ; les extrémités de l’arête du triangle de pignon perpendiculaire à l’arête faîtière ; les extrémités des arêtes des appentis qui s’écartent de l’arête faîtière.
Le maçon viêtnamien est en effet aussi sculpteur, mosaïste et peintre. Le charpentier est ébéniste et sculpteur sur bois.
E. Construction
Les rites de la construction ont été brièvement indiqués. A l’inverse des Européens qui construisent d’abord les fondations, les Vietnamiens commencent par poser les fermes de la toiture sur leurs colonnes d’appui reposant sur le soubassement (nén). C’est en effet le toit et sa massive charpente qui constituent la partie essentielle et dynamique de la maison.
… (à suivre…)
NOTES :
◊ Source: PIERE HUARD & MAURICE DURAND. Connaissance du Vietnam, p.177-185. Paris, Imprimerie Nationale. École Française d’Extrême Orient, Hanoi 1954.
◊ Les images sont réalisés par le BAN TU THƯ – thanhdiavietnamhoc.com
BAN TU THƯ
06 /2023