CITROËN Saigon
CHRISTIAN ÉTIENNE1
CITROËN connut la réussite au Vietnam, comme nulle part ailleurs en Asie. Sa part de marché y était au plus haut dans les années 20 et 30, et l’introduction de la DS à Saïgon en 1957 fut un succès, hélas éphémère.
Les premières CITROËN mordirent la poussière indochinoise en 1919, l’année même où la firme aux chevrons fut fondée par ANDRÉ-GUSTAVE CITROËN. L’importateur, EMILE BAINIER, ancien employé du garage Ippolito, avait déjà démarré une affaire dans l’automobile en 1914 au 40, boulevard Bonard à Saïgon. En 1920 il fonda une nouvelle société, la “Société Anonyme des Etablissements Bainier“, qui représentait plusieurs fabricants automobiles: Dodge, et plusieurs marques françaises aujourd’hui oubliées: Darracq, Brasier, Unic, Zèbre, et la toute nouvelle CITROËN, qui rencontra immédiatement le succès: c’était l’une des marques les plus demandées en 1921, avec Darracq et Renault.
En 1927, EMILE BAINIER passa la vitesse supérieure et inaugura “le plus beau garage de tout l’Extrême-Orient“, comme l’écrivit la presse à l’époque, au coin des boulevards Bonard et Charner. En 1930, la société employait “14 Européens et 261 indigènes“, et vendit un total de 666 autos et châssis, s’assurant ainsi la première place. EMILE BAINIER quitta le pays la même année, laissant son fondé de pouvoir GEORGES GOETZ aux rênes de l’entreprise.
Des filiales furent créées sur tout le territoire : Hanoï (1927), Hué, Tourane (aujourd’hui Danang) et Phnom-Penh (Cambodge).
En-dehors de Saïgon, des agents furent recrutés pour développer les ventes et entretenir les véhicules. ALBERT AVIAT, notamment, joua un rôle important: il démarra la représentation de la marque à Hanoï en 1936, puis à Haïphong (prenant la place du “Garage Central”), puis à Tourane (en remplacement de la STACA). Par ailleurs, un autre directeur de la SAEO, GEORGES DESRUES, partit créer sa propre concession à Phnom-Penh.
En 1954, alors que les Français perdaient “leur” guerre d’Indochine et que les Américains commençaient à renforcer leur présence dans le sud, la SAEO, dirigée par un certain Guillemin, comptait environ 120 employés. Ce nombre relativement élevé s’explique par le fait que
le montage final des camions T45 se faisait encore localement, afin d’optimiser les coûts de transport. Ces camions, ainsi que les Traction et les 2CV, étaient très populaires auprès des sociétés (plantations, assurances, brasseries…), des administrations et des particuliers.
Les clients? De riches particuliers, Français, Vietnamiens, Chinois. L’administration locale se devait d’acheter américain… Pas de publicité: le problème résidait plus dans les quotas d’importation de toutes façons. Seule la version normale de la DS fut vendue: pas ou peu de modification (même l’air-conditionné), pas de break, etc.
Fin 1966, suite à la Déclaration de Phnom-Penh du Général DE GAULLE condamnant l’intervention militaire américaine au Vietnam, l’importation de véhicules et de pièces fut interdite: dès lors, seules environ trente DS purent être importées, au cas par cas, en provenance de l’usine belge de Forrest de Citroën, pas concernée par le blocus. Les pièces de rechange également étaient importées de Belgique.
En 1975, JACQUES DUCHEMIN, arrivé en 1964 et qui prit la place d’Hubert de Jorna en tant que directeur de la SAEO quatre ans plus tard, parvint à acheminer une DS23 “Prestige“, et la vendit au dernier président du pays, NGUYEN VAN THIEU. Elle a survécu,et se trouve maintenant dans une collection privée, J’ai pu aussi parler au dernier directeur de la SAEO, JACQUES DUCHEMIN, en septembre 2014. Il m’expliqua comment lui vint l’idée d’un modèle adapté aux conditions particulières du pays: conçu localement, assemblé localement. Le projet “La Dalat” était né…
En 1968, JACQUES DUCHEMIN obtint du Ministère de l’Industrie l’autorisation d’importer des éléments afin d’assembler localement un petit véhicule, sur base 2CV. L’auto fut rapidement conçue, avec l’aide d’ALFRED NICOLAS, un agent CITROËN à Dalat (une station climatique de montagne), et la production démarra en 1969, d’abord dans les locaux de la SAEO, puis, à partir de 1971, dans un nouveau bâtiment situé dans la banlieue de Saïgon. On estime que la production totale, incluant les dernières séries produites après la réquisition nord-vietnamienne lors de la chute de Saïgon en avril 1975, atteignit 3,880 autos.
En novembre 1975, sept mois après la chute de Saïgon, JACQUES DUCHEMIN dut quitter le pays, “en pyjama“. On ne devait pas revoir CITROËN au Vietnam de sitôt…
Cerise sur le gâteau: en 1972, JACQUES DUCHEMIN imagina un autre modèle de production locale: un petit camion sur châssis de Type H avec une face “Currus“, baptisé “Bassac“, du nom d’un affluent du Mékong. Seuls 14 d’entre eux furent produits (prototypes de bus, pick-up et ambulance), et à ma connaissance aucun n’a survécu. C’est sans aucun doute aujourd’hui l’un des modèles CITROËN les plus rares au monde…
Remerciements chaleureux à HUBERT DE JORNA, JACQUES DUCHEMIN et FRANÇOIS DORÉ (Librairie du Siam, Bangkok) pour leur aide précieuse. Je dois aussi beaucoup à MARIE et CHRISTIAN ETIENNE et à leur ouvrage fort documenté au sujet du projet Dalat, ainsi qu’aux collègues chasseurs de Citroën et de DS au Vietnam.
REMARQUES :
1: CHRISTIAN ÉTIENNE, auteur de l’article, a été publié cet article dans “Citropolis” No. 10, 2006.
NOTES :
◊ Source: DS in Asia – dsinasia.com.
◊ Les citations, les italics, les capitales, les textes en couleur et l’image sépia sont définis par Ban Tu Thu – thanhdiavietnamhoc.com.
BAN TU THU
09 /2020