Le Musée de SAIGON

DANG PHUONG

   Ouvert au public Saigonnais en 1929, le Musée BLANCHARD DE LA BROSSE était le dernier des grands musées créés par la France au VietNam. Pourtant la ville le souhaitait depuis longtemps et la doyenne des institutions savantes de l’Indochine – la Société des Etudes Indochinoises n’avait pas ménagé ses efforts en ce sens. Et c’est à cette dernière qu’on le doit en définitive. En 1927, la Société achetait la collection d’un amateur éclairé et en faisait don à la cochinchine à charge pour celle-ci d’édifier un Musée. Celui ci fut donc enfin entrepris et vint bientôt dresser sa silhouette élégante dans le jardin botanique. A son fonds initial vinrent rapidement s’ajouter les découvertes faites au cours de leurs travaux archéologiques par les conservateurs succsessifs, et les dépôts de l’École Française d’Extrême-Orient, qui le patronnait scienti­fiquement… Dès 1940, parla variété et l’intérêt de ses collections, le Musée pouvait prétendre à une place de premier plan en Indochine,et même en Extrême-Orient.

    En 1945, il était transféré au Viêt-Nam et prend le nouveau nom de Musée de Saigon. Il avait heureusement, relativement peu souffert de |a guerre, mais se trouvait complètement désorganisé. En attendant d’avoir des techniciens compétents, le gouvernement Vietnamien demandait à l’École Française d’Extrême Orient de détacher un spécialiste pour assurer la direction et la réorganisation du musée, selon les principes les plus modernes de la muséographie.

    Le problème était complexe. Il convenait tout d’abord d’intégrer le musée dans une société nouvelle en gestation, et de lui définir une politique. La « notion » même de « musée » est entièrement étrangère à l’Orient, où l’admiration de l’œuvre d’art est inséparable de la notion de propriété, où prime le point de vue du collectionneur. Et la culture y fut de tout temps basée sur la tradition-orale ou écrite, sur le concept d’autorité. C’est l’Occident qui a implanté l’idée de musée, conservatoire des vestiges du passé ou illustration systématique des sciences appliquées, en même temps qu’il a importé ses disciplines intellectuelles.

    Mais pour être étranger, le musée n’en a pas moins été immédiatement adopté. Qui a vu la curiosité, la patiente et la véritable ferveur des visiteurs dans un musée asiatique, en sera aisément convaincu. Il était donc légitime de lui réserver une place de choix dans la nouvelle culture vietnamienne. Et ceci a été si parfaite, ment compris par les autorités Vietnamiennes que malgré la guerre et la situation critique du pays, leur aide morale et financière a permi, de 1951 à 1954, de refondre intégralement le Musée BLANCHARD DE LA BROSSE.

    L‘Importance et la beauté de ses collections archéologiques imposaient de leur garder la première place et dictaient l’allure générale du musée, qui resta donc un musée d’art. Bien entendu, les pays d’Indochine s’y devaient, d’y être plus particulièrement représentés: le Viet­nam d’une part le Cambodge d’autre part, et cet antique royome du Fou-Nan, qui fut à l’origine de la culture cambodgienne et s’étendait sur l’aire actuelle du Sud-Vietnam. Mais en outre le musée constitue une véritable introduction aux grandes civilisations de l’Extrême Orient.

   Le Musée comprend une rotonde centrale, où s’ouvrent deux circuits systématiques de salles, autour de deux petits patins. Bâtiment au demeurant incommodé et mal adapté à son rôle mais qu’il a bien fallu aménager au mieux. La rotonde d’entrée groupe autour, d’un majestueux bouddha vietnamien, une série de vitrines qui présentent une synthèse des différents arts illustrés en détail dans les salles, et dont la rotonde offre ainsi comme une synthèse. L’aile Est a été consacrée aux civilisations chinoises et apparentées: Japon, Vietnam, avec en guise de conclusion une salle où est évoquée la rencontre de l’Orient et de l’Occident à partir du XVIII ème siècle. Une salle en cul-de-sac, proche de l’entrée, a été équipée pour les expositions temporaires. En temps normal, les collections du Fou-nan y sont présentées. L’ailé ouest, elle, est occupée par les cultures d’origine indienne: Champa, Cambodge archaïque et classique, Siam. Dans chaque salle les collections ont été disposées dans l’ordre à la fois logique et chronologfque. Ainsi, en parcourant le Musée, le visiteur peut suivre dans l’espace et dans le temps le déploiement et la rencontre de ces deux grands courants de civilisatiôns. et admirer les fruits qu’ils ont portés.

   Mais toutefois le souci esthétique, le rapport des formes et des couleurs, des matières, ont toujours eu le pas sur la sèche érudition. Un musée reste avant tout un écrin pour les choses belles. Et sans rien sacrifier à l’honnêteté intellectuelle, nous nous sommes efforcé de la rendre harmonieux et attirant. Une sélection sévère des objets a éliminé tout ce qui n’était pas irréprochable, et il nous a semblé préférable de ne pas illustrer telle période ou tel style plutôt que de le faire de façon médiorcre. De même nous avons réduit au minimum le nombre des pièces exposées, pour ne point lasser l’attention, mais au contraire la séduire et la fixer par une suite d’images à la fois fortes et prenantes. Il reste loisible au chercheur d’étudier les pièces secondaires dans les nouvelles réserves et la salle d’étude équipées à cet effet.

   La présentation a essayé d’être vivante. Les sculptures monumentales sont replacées dans le volume d’air et lumière pour lequel elles furent conçues, et que suggèrent au besoin des dispositions architecturales. Certaines salles toutes entières restituent discrètement une ambiance. La salle Japonaise avec sa vaste perspective fermée par deux beaux paravents, et les objets répartis dans des niches murales, rappelle l’intérieur si typique des maisons japonaises. Dans la salle vietnamienne qui s’ouvre sur un patio-jardin, chaque meuble, chaque statue a été disposé à la place qu’il occuperait dans une vraie maison de lettré raffiné. Dans la salle Orient-Occident, bibelots et meubles d’époque restituent une atmosphère que des gravures contemporaines, accrochées aux murs, évoquent avec un charme quelque peu nostalgique. Partout les objets restent, le plus possible, au contact du visiteur. Et quand les vitrines s’imposaient, pour des raisons de sécurité et de préservation, nous les avons voulues aussi discrètes que possible, largement vitrées, tendues de tissus clairs, avec des panneaux en beau bois dur du pays. Le musée a été équipé entièrement pour les visites de nuit. Chaque vitrine est éclairée intérieurement. Et à l’éclairage d’ambiance s’ajoutent des projecteurs, dissimulés dans les murs, qui modèlent vigoureusement en lumières intenses et en ombres un peu dramatiques les grands morceaux de sculpture.

   Enfin, l’appareil didactique est resté aussi discret que faire se pouvait. A l’entrée de chaque salle, des textes concis – en français et en vietnamien – illustrés de cartes et de courts tableaux chronologiques, précisent les notions générales indispensables. Des étiquettes et de brèves notices commentent les collections. Une petite salle en préparation, qui contiendra exclusivement des cartes, des tableaux et des diagrammes restituant les grands mouvements de civilisation en Asie. Le visiteur curieux pourra, s’il le désire, trouver en outre dans les catalogues toutes les précisions utiles. Avec l’aide des Services de l’Enseignement, nous avons fait un effort spécial pour attirer les enfants au musée. Des maitres volontaires ont suivi des stages de formation, et peuveut maintenant guider leurs élèves d’une façon plus vivante et plus intéressante. Certaines heures sont entièrement réservées aux enfants, et ils peuvent y dessiner ou se promener à loisir. Enfin le Musée dispose d’une grande source d’intérêt: la Société des Etudes Indochinoises, qui y loge sa bibliothèque y donne ses conférences et lui attire, ainsi, l’élite intellectuelle de la ville.

   Le résultat de ces efforts est, nous le souhaitons, dans le plaisir que pourra trouver le visiteur à parcourir les salles du Musée de Saigon, qui compte maintenant, sans doute, parmi les plus modernes d’Extrême-Orient. L’intérêt qu’il suscite s’inscrit dans les chiffres. En 1953, malgré deux mois de fermeture pour travaux, il en comptait 120.000. Saigon a maintenant un musée digne d’elle.

    Et nombreux encore, sans doute, dans les années passéss seront ceux qui viendraient rêver dans ses salles, ou reposer leurs regards au calme des jardins qui l’entourent.

REMARQUES:
1:  … mis à jour …

NOTES:
◊ Source: Culturelle Francaise au Viet Nam 1957, Extraits – Études- Mémoires, Les Éditions du Viet Nam (Sud), Saigon.

BAN TU THU
09 /2020