Une Promenade dans Dương Ổ, Bắc Ninh
SYLVIE FANCHETTE1
FRANÇOIS CARLET-SOULAGES2
Dans la première ruelle à droite se trouve la maison de M. PHẠM VĂN TÂM, dont la femme est une des quatre productrices de papier dó 3. Vous pouvez demander de visiter son atelier et d’acheter quelques feuilles de papier. Chaque atelier assure le processus de production en entier, donc il est souvent possible d’assister à tous les stades de la fabrication. Dans la cour, dans les bacs, les écorces de dó trempent, sur les cotés des femmes nettoient les bandes d’écorce, on peut voir les presses, les égouttoirs, les mortiers et autres instruments du papetier. Le lever à la forme est vraiment l’etape la plus impressionnante. Dans son salon, envahi par les tas de feuilles de différentes tailles, la femme de M. PHẠM VĂN TÂM détache les feuilles séchées et vérifie la qualité. Elle produit cent kilos de papier par mois, de qualités variées, soit environ 20000 feuilles. Elle exécute les commandes des clients, pour la plupart fidèles. Les niveaux de qualité dépendent de la part de la pulpe dans le mélange, de la qualité de l’écorce et de la finesse du papier: le giấy dướng4 est moins fin que giấy dó. Dans certains cas, on mélange du papier de récupération à la pulpe d’écorce.
Pour aller dans l’atelier de M. NGÔ VĂN HIẾN, retournez sur vos pas. Au bout de la ruelle, tournez à droite (à gauche se trouve le marché) et avancez de quelques mètres. Sur la droite, se trouve son atelier. Lors de notre passage, sa femme, Mme TƯƠI, exécutait le lever à la forme de la pulpe de dó à l’aide du khuôn, dans un bassin. Elle passe la forme sur laquelle se trouve un tamis en fines lamelles de bambou (mành) dans le bassin d’eau (tàu xeo) mélangée à la pulpe et elle détache la feuille pour la poser sur un tas de feuilles, puis recommence inlassablement 800 fois par jour. De temps en temps, elle remue énergiquement l’eau dans le bassin avec un bâton pour bien mélanger la pulpe et obtenir un liquide homogène. Ce métier traditionnel et manuel, épuisant, parce qu’il faut rester tout le temps debout, les mains dans l’eau, est l’activité des femmes de ce village depuis des générations.
Si vous voulez mesurer l’impact sur l’environnement de cette activité très mécanisée, une fois de retour au marché, tournez à gauche et continuez tout droit jusqu’à la rivière (voir carte). Promenez-vous le long de la rivière entre Dương Ổ 5 et Châm Khê 6: vous allez voir un bon échantillon de la production plus mécanisée, sans doute observer les chaînes de productions en marche (les plus grosses tournent même la nuit) et des ouvriers/ères préparant le papier recyclé, emballant des rouleaux de papier hygiénique, etc. Vous verrez que, comme à Đồng Kỵ7, on manque d’espace ici, et les abords de la rivière, pourtant le site du đình et de l’embarcadère majestueux, sont souillés par la pulpe de papier usagé. Difficile aussi d’ignorer la pollution du cours d’eau: cette industrie demande beaucoup d’eau et entraîne des rejets importants (qui finissent souvent dans la rivière), plus l’emploi de produits chimiques toxiques.
Si vous voulez continuer la visite des producteurs de giấy dó, retournez au marché et prenez la rue qui part à gauche. Cette rue mène au nouveau site industriel en traversant tout le cœur du village. La rue est bétonnée, pas très belle, mais les transversales mènent à des petites maisons nichées au fond des venelles. De-ci, de-là, on voit dans les cours des bassins inutilisés ou l’on trempait l’écorce de dó autrefois. Dans la dernière ruelle sur la gauche avant d’arriver à un petit điếm8 (temple) se trouve la maison de M. NGÔ ĐỨC ĐIỀU, artisan assez âgé et reconnu qui possède chez lui un document datant de 1435 mentionnant l’activité du papier dans le village. Il maintient cette activité, mais ses fils, eux, s’adonnent à la fabrication du papier industriel dans le site industriel.
Puis, avant de sortir du village ancien, sur la droite, dans une maison ancienne, une femme fabrique du giấy dó avec un mélange de papier de récupération et du dó. Ce papier dó de mauvaise qualité est utilisé par les marteleurs d’or de Kiêu Kỵ, un village à côté de Bát Tràng (le célèbre village des potiers au bord du fleuve Rouge). Kiêu Kỵ et ses marteleurs font partie de l’Itinéraire 2.9 Cette femme (comme deux autres dans un hameau plus éloigné du cluster) achète du papier à recycler, elle le fait écraser dans un autre atelier, puis le mélange dans l’eau avec les écorces de dó. Elle fabrique 1000 feuilles par jour et, pour 100 feuilles, elle ne demande que l’équivalent de 20000 VND! On ne doit pas lui donner beaucoup de feuilles d’or en échange des feuilles de papier…
Puis, si vous désirez visiter Châm Khê, prenez la rue à gauche au carrefour. Vous passez devant le Comité populaire de la commune. Puis entrez dans Đào Xá 10, ce village de papetiers, coupé en deux par le passage du pont de l’autoroute qui mène à l’aéroport de Nội Bài. Au hors d’un kilomètre, vous arrivez à Châm Khê. Le papier recyclé est beaucoup employé dans la fabrication des spécialités du village: les objets votifs et les éventails. Cherchez par exemple des ateliers qui fabriquent des «faux billets» de 100 dollars ou de 50000 VND, brûlés par l’acheteur afin de les «faire passer» aux morts pour qu’ils puissent arrondir leurs fins de mois dans l’au-delà. Les difficultés des autres mondes seraient-elles du même ordre que celles du nôtre?
Si vous ne faites pas le détour par Châm Khê, au carrefour continuez tout droit. À droite se trouve un puits, appelé le puits de la fée, giếng tiên. Il a été restauré et agrandi en 2004. À l’origine, il servait à abreuver la population du quartier, maintenant ce n’est que pour la décoration. Sur le côté du puits il y a un petit autel des ancêtres. Puis, dans le petit site industriel informel sur la gauche de cette rue très encombrée et bruyante, cherchez Mme NGÔ THI THU qui, parallèlement à la fabrication mécanique de papier kraft et autres papiers, produit 1000 feuilles de papier dó de haute qualité par jour.
Et puis, si vous n’avez pas peur des effluves de chlore et du bruit des usines, nous vous conseillons d’aller faire un tour dans le grand site industriel, au bout de la rue à gauche, où la plupart des grandes entreprises se sont regroupées.
REMARQUES :
1: SYLVIE FANCHETTE, est docteur en géographie, diplômée de l’Université de Paris VIII. Depuis octobre 1993, elle est chargée de recherche à l’IRD, Institut de Recherche pour le Développement. Elle s’intéresse aux processus d’urbanisation des campagnes dans les deltas très peuplés (fleuve Rouge, Nil, Niger…). Elle vit depuis plusieurs années au Vietnam où elle dirige un programme de recherches sur «le développement des villages de métier dans le contexte du processus de périurbanisation autour de Hà Nội».
2: FRANÇOIS CARLET-SOULAGES, photographe depuis 1997, est établi depuis 2002 à Hà Nội au Vietnam. En 2008, il a ouvert l’agence photographique NOI Pictures à Hà Nội, qui représente plusieurs photographes, aux spécialités hétéroclites, venus des quatre coins du monde. L’agence NOI Pictures diffuse également une banque d’images sur le Vietnam.
3: dó, arbre (rhamnoneurron) dont l’escorce sert à faire du papier.
4: giấy dướng, rédigés par les Mông à Sơn La à partir de l’écorce du palmier, puis reproduits par le Centre de Recherche, de Soutien et de Développement du Village artisanal vietnamien pour les Mường à Suối Cỏ, Hợp Hòa, district de Lương Sơn, Hòa Bình. (wikipedia.org)
5: Dương Ổ, également connu sous le nom de Đống Cao, est l’un des quatre quartiers résidentiels (Dương Ổ, Đạo Xá, Châm Khê et Ngô Khê) à Phong Khê Ward, ville de Bắc Ninh, province de Bắc Ninh, Vietnam, ancienne dans la région de Cổ Loa, Đông Anh. Initialement installant un village sur une terre sauvage et dense, les habitants ont choisi les hautes terres, sur la rive sud de la rivière Ngũ Huyện Khê pour construire des maisons et des hameaux. Pour survivre et rester ici, ils doivent toujours se battre avec la nature et les bêtes sauvages pour protéger leur race et leur production. À cette époque, leur principale source de vie est la chasse et la cueillette.
La rivière Ngũ Huyện Khê est devenue une rivière morte car elle reçoit quotidiennement les eaux usées rejetées directement par les papeteries.
6: Châm Khê, s’appelle le village de Bùi. La zone Châm Khê longe la digue de la rivière Ngũ Huyện Khê, Phong KhêWard, ville de Bắc Ninh, province de Bắc Ninh, Vietnam.
7: Đồng Kỵ est un quartier (population d’environ 22000 personnes – en 2016), situé dans la ville de Từ Sơn, province de Bắc Ninh, Vietnam, à environ 20 km au nord-est du centre de Hanoi, situé sur la route provinciale 232 (la rue Nguyễn Văn Cừ maintenant) et est basée sur la rivière Ngũ Huyện Khê, anciennement (avant 1997) en Nom est le village de Cời dans la commune de Đồng Quang [avec 3 villages: Bính Hạ, Trang Liệt, Đồng Kỵ, et 6 hameaux maintenant 7 quartiers: phố Thanh Bình (hameau Bằng), phố Đồng Tâm (hameau Tư), phố Đại Đình (hameau Đột), phố Nghè (hameau Nghè), phố Thanh Nhàn (hameau Giếng), phố Tân Thành, quartier Đồng Tiến (Ba Gò)], district de Tiên Sơn, province de Hà Bắc, de 1997-8 /1999, il était dans la commune de Đồng Quang, district de Tiên Sơn, province de Bắc Ninh, à partir de septembre 1999, il était dans la commune de Đồng Quang, district de Từ Sơn, province de Bắc Ninh. Le quartier de Đồng Kỵ possède également un village industriel, ainsi que 2 petites zones résidentielles.
8: điếm, poste de surveillance ou petit temple.
9: Dix itinéraire autour de Hanoi: Itinéraire 1: Meubles d’art et papier, Itinéraire 2: Villages de potiers, Itinéraire 3: Poteries, battage de l’or et médicine traditionnelle, Itinéraire 4: Estampes, martelage et bambou brûlé, Itinéraire 5: Villages du textile autour de Hà Đông, Hà Tây, Itinéraire 6: Laque, sculture sur bois et object en corne (au Sud de Hanoi), Itinéraire 7: Broderies et incrustation de nacre (Sud de Hà Tây), Itinéraire 8: Bambou et vannerie (Sud-Ouest de Hà Tây), Itinéraire 9: Bambou et rotin (Ouest de Hà Tây), Itinéraire 10: Villages de l’agro-alimentaire (Ouest de Hanoi).
10: Đào Xá, est située entre la zone de Dương Ổ et la zone de Châm Khê, la plus petite zone du quartier. Actuellement, Đạo Xá produit également principalement du papier à petite échelle.
NOTES :
◊ Source: À la Découverte des Villages de Métier au Vietnam, IRD (Institut de Recherche pour le Développement), Thế Giới Éditions, Hanoi, 2009, p. 88-89.
◊ Les italiques, les lettres en couleur et les remarques sont définis par Ban Tu Thư – thanhdiavietnamhoc.com.
BIBLIOGRAPHIES :
◊ CLAVERIE F., 1903 – L’arbre à papier du Tonkin. Bulletin économique de l’Indochine, 24.
◊ CLAVERIE F., 1904 – L’arbre à papier du Tonkin. Bulletin économique de l’Indochine, 25 :75-88.
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◊ FANCHETTE S., 2007 – The development process of craft and industrial village (CIV) clusters in Hà Tây and Bắc Ninh province (Vietnam): from village initiatives to public policies. Vietnamese Studies, 3 (165), Éd. Thế Giới, Hà Nội : 5-30.
◊ HOÀNG TRỌNG PHÚ, 1932 – Les industries familiales. Atelier d’arts indigènes de Hà Đông, monograph.
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◊ TRẦN QUỐC VƯỢNG & ĐỖ THỊ HẢO, 1996 – Nghề Thủ công truyền thống Việt Nam và các vị tổ nghề, Edition de la culture traditionnelle, Hà Nội.
BAN TU THƯ
10 /2020