Entre l’Écorce et la Feuille

SYLVIE FANCHETTE1
FRANÇOIS CARLET-SOULAGES2

    Le premier défi pour les producteurs de papier dó 3 est de se procurer l’écorce de cet arbre, essentielle à la fabrication. On utilise aussi l’écorce du mûrier à papier (mais on n’en parle pas beaucoup!). Elle est difficile à trouver de nos jours: comme il y a de moins en moins d’acheteurs, les producteurs de l’arbre dó se font de plus en plus rares et les prix sont très élevés. Les gens des régions montagneuses n’en plantent plus beaucoup; on n’en trouve plus que dans les provinces de Lào Cai 4 et Yên Bái 5, où l’écorce est récoltée en septembre et octobre. Celui qui veut produire du papier régulièrement doit faire des réserves pour toute l’année.

   La production est également saisonnière: on est obligé d’arrcter la fabrication pendant la mousson (juin, juillet, août) car il fait trop chaud – et en plus, le papier ne sèche pas. Une fois qu’on a trouvé de l’écorce, il faut la préparer: ci-après la recette de la fabrication telle quelle s’effectuait il y a un siècle dans un village des bords du lac de l’Ouest. À une variante près – la part de produits chimiques divers, et celle de papier de récupération insidieusement intégrée dans la pâte – les derniers papetiers de Dương 6 et de Châm Khê 7 continuent de faire les mômes gestes que leurs ancêtres.

    La fabrication du papier dó dans le village de Yên Thái 8 telle quelle se faisait autrefois débute par l’arrivée en fagots des tiges qui sont mises à rouir dans la rivière Tô Lch 9 entre un et trois jours. Les écorces sont dégrossies une première fois de leurs nodosités et coupées en segments, puis placées dans des bacs où elles macèrent dans l’eau de chaux pendant 24 heures. Suit alors la phase de cuisson à l’étuvée dans des fours en terre (entre huit et dix heures, selon Dard Hunter10) ou au bain-marie (Claverie11 F. indique trois à quatre jours). Les écorces sont ensuite mises dans de grands paniers en bambou tressé et lavées à l’eau claire. Les femmes séparent au couteau la partie claire de l’écorce qui donnera le papier de meilleure qualité de la partie sombre employée pour des qualités inférieures. De nouveau trempées, lavées et égouttées, les écorces sont pilées à la main dans des mortiers de pierre par les hommes jusqu’à obtenir la pâte brute. Diluée et homogénéisée dans une cuve, huilée par des copeaux de bois mò, la pâte est levée en feuilles par une ouvrière à l’aide d’une forme faite d’un cadre de bois et d’un fin treillis de bambou appelée liêm xeo. Les feuilles sont empilées en un plateau de 500 ou 1000 feuilles. Pour exprimer progressivement l’eau de ce bloc de papier frais on utilise une presse, puis on entame la phase de séchage proprem ent dite, à l’air ou au four, les feuilles étant apposées sur les parois extérieures. Reste à mettre en liasse les feuilles non massicotées pour la vente .\.

REMARQUES :
1:  SYLVIE FANCHETTE, est docteur en géographie, diplômée de l’Université de Paris VIII. Depuis octobre 1993, elle est chargée de recherche à l’IRD, Institut de Recherche pour le Développement. Elle s’intéresse aux processus d’urbanisation des campagnes dans les deltas très peuplés (fleuve Rouge, Nil, Niger…). Elle vit depuis plusieurs années au Vietnam où elle dirige un programme de recherches sur «le développement des villages de métier dans le contexte du processus de péri­urbanisation autour de Hà Nội».

2: FRANÇOIS CARLET-SOULAGES, photographe depuis 1997, est établi depuis 2002 à Hà Nội au Vietnam. En 2008, il a ouvert l’agence photographique NOI Pictures à Hà Nội, qui représente plusieurs photographes, aux spécialités hétéroclites, venus des quatre coins du monde. L’agence NOI Pictures diffuse également une banque d’images sur le Vietnam.

3dó, arbre (rhamnoneurron) dont l’escorce sert à faire du papier.
4: Lào Cai est une province frontalière des hautes terres dans la région nord-ouest du Vietnam. Province de Lào Cai – le nord est à la frontière avec la Chine (province du Yunnan), l’ouest à la province de Lai Châu, l’est à la province de Hà Giang, le sud à la province de Yên Bái La ville de Lào Cai (à 290 km de Hanoi) est le centre administratif de la province.

   La forêt de Lào Cai représente 43,87% (278907 ha) de la superficie naturelle totale. Lào Cai possède la zone touristique de Sa Pa – l’une des 21 stations touristiques nationales du Vietnam – située à une altitude moyenne (1200 à 1800 m), un climat frais toute l’année, avec des paysages de montagnes et de cascades, l’eau et c’est la convergence de nombreuses activités culturelles traditionnelles des minorités ethniques (marché des hautes terres, marché de l’amour de Sa Pa, ...); il y a aussi la chaîne de montagnes Hoang Lien Son avec le sommet de Phan Xi Pang – le toit du Vietnam – et la réserve naturelle de Hoang Lien qui attire de nombreux scientifiques et touristes nationaux et étrangers.

    La population de la province de Lào Cai est d’environ 730420 personnes (1er avril 2019): population urbaine (23,5%), population rurale (76,5%), population masculine (50,83%), population féminine (49,17%).

    Les Kinh (33,8%) et 22 autres groupes ethniques (66,2%) vivent à Lào Cai

    Le nom Lào Cai a été formé à la fin du 19ème siècle lorsque les Français ont remarqué le Vietnam et ont exploré les régions montagneuses du nord du Vietnam. A la tête du pont Cốc Lếu (aujourd’hui), il y avait autrefois un marché. La zone frontalière est devenue animée lorsque JEAN DUPUIS (Français, 1870) est venu «explorer», ouvrant la voie au commerce des armes et à l’achat de minerais avec le Yunnan, Chine. Les Français comptaient sur les H’Mong pour contacter, échanger, transporter et éviter les fonctionnaires vietnamiens locaux. L’ancienne rue du marché en langue H’Mong est «Lao Cai», les Chinois l’appellent «Lão Nhai» (老 街), DUPUIS l’a écrit comme «Lao-kai». La nouvelle rue du marché s’appelle “Xin Cai“, les Chinois l’appellent Tan Nhai (新 街, Pho Moi aujourd’hui).

    Dans la carte du Tonkin en 1879, JEAN DUPUIS enregistre l’emplacement de ce marché comme “Lao-kai, résidence du chef des Pavillone noirs” (Lao-kai, le chef de l’armée des échecs noirs). Le Professeur ĐÀO DUY ANH a dit que lors de l’élaboration des cartes, les Français ont écrit “Lão Nhai” comme “Lao Cai” et l’ont changé plus tard en “Lao Kay“. Le nom «Lao Kay» était utilisé par les Français dans les documents et les sceaux administratifs.

    Ville de Lao Cai (30 novembre 2004), reconnue comme ville de classe II (30 octobre 2014). La province de Lao Cai comprend 1 ville, 1 ville et 7 districts. Plus tard, une partie des districts de Bat Xat et de Bao Thang a été fusionnée pour agrandir la ville de Lao Cai (11 février 2020).

 5:  La province de Yên Bái est située dans les Midlands du Nord-ouest, le Nord-est borde les provinces de Tuyên Quang et Hà Giang, le Sud-est borde la province de Phú Th, le Sud-ouest borde la province de Sơn La, le Nord-ouest borde les deux provinces de Lai Châu et Lào Cai. La capitale est la ville de Yên Bái, à 158 km de Hanoi. La province de Yên Bái compte 9 unités administratives affiliées au niveau des districts, dont 1 ville, 1 ville et 7 districts avec 173 communes, avec une zone naturelle de 6883 km², situées le long des rives de la rivière Rouge.

    La topographie de Yên Bái a une pente raide, s’élevant progressivement d’Est en Ouest, du Sud au Nord, avec une altitude moyenne de 600 mètres (par rapport au niveau de la mer), divisée en deux régions: les basses terres (rive gauche du fleuve Rouge et bassin). Rivière Chảy présente de nombreuses caractéristiques de la région du Midland; Les hautes terres (rive droite de la rivière Rouge et plateau entre la rivière Rouge et la rivière Đà) comptent de nombreuses chaînes de montagnes. Le col de Khau Ph est le col le plus long et le plus dangereux (plus de 30 km) de l’autoroute 32.

    Toute la province compte environ 821030 habitants (en 2019): population urbaine (19,8%) et population rurale (80,2%); dont 30 ethnies (Kinh, Tay, Dao, Mong, …) vivant en alternance, se rassemblant partout avec des identités culturelles diverses.

    Yên Bái est connu à travers Le soulèvement Yên Bái du Vietnam Quoc Dan Party (2/1930) avec le leader NGUYỄN THÁI HỌC et 12 camarades ont été capturés par les colonialistes français et été exécutés par guillotine le 17 juin 1930.

NOTES :
◊  Source:  À la Découverte des Villages de Métier au Vietnam, IRD (Institut de Recherche pour le Développement), Thế Giới Éditions, Hanoi, 2009, p. 88-89.
◊ Les italiques, les lettres en couleur et les remarques sont définis par Ban Tu Thư – thanhdiavietnamhoc.com.

BIBLIOGRAPHIES :
◊  CLAVERIE F., 1903 – L’arbre à papier du Tonkin. Bulletin économique de l’Indochine, 24.
◊  CLAVERIE F., 1904 – L’arbre à papier du Tonkin. Bulletin économique de l’Indochine, 25 :75-88.
◊  CREVOST Ch., 1917 – Sur quelques matières végétales à papier de l’Indochine. Bulletin économique de l’Indochine, 123 : 117-134.
◊  FANCHETTE S., 2007 – The development process of craft and industrial village (CIV) clusters in Hà Tây and Bắc Ninh province (Vietnam): from village initiatives to public policies. Vietnamese Studies, 3 (165), Éd. Thế Giới, Hà Nội : 5-30.
◊ HOÀNG TRỌNG PHÚ, 1932 – Les industries familiales. Atelier d’arts indigènes de Hà Đông, monograph.
◊  HOCQUARD C. E., 1999 [1885] – Une campagne au Tonkin, Paris, Arléa, 683 p. 
◊  HUARD P., DURAND M., 1954 (reprinted 2002) – Connaissance du Việt-Nam. Paris, École française d’Extrême-Orient, 357 p.
◊  HUNTER D., 1947 – Paper makingin Indochina. Chillicothe Ohio, USA, Mountain House Press, 107 p. 
◊  NGUYỄN VĨNH PHÚC, 2001 – Sites, histoire et légendes autour de Hà Nội, Éd. Thế Giới, Hà Nội.
◊ NGUYỄN XUÂN LAI, 1979 – Craft Industries in the Présent Period. Vietnamese Studies, 62: 7-62.
◊  TRẦN MINH YẾN, 2004 – Traditional craft village in industrialization and modemization processes, Hà Nội, Social Sciences Publishing House.
◊  TRẦN QUỐC VƯỢNG & ĐỖ THỊ HẢO, 1996 – Nghề Thủ công truyền thống Việt Nam và các vị tổ nghề, Edition de la culture traditionnelle, Hà Nội.

BAN TU THƯ
10 /2020