Les FORTIFICATIONS de la Citadelle de Hue

Par Colonel ARDANT DU PICQ*1
Commandant d’Armes

I.  Le Choix de l’Emplacement

    L’expression courante « Citadelle de Huế» désigne très impropre­ment le vaste quadrilatère régulier, de dix kilomètres de pourtour, qui appuie une de ses faces sur le Fleuve Parfumé**. En raison de ses grandes dimensions et de la ville qu’il circonscrit, il vaudrait mieux l’appeler «enceinte fortifiée», et employer le mot «Citadelle» dans son sens technique d’ouvrage plus restreint situé à l’intérieur de l’enceinte, de réduit où la garnison pourrait encore résister après lachûte des premières défenses. Dans le cas actuel, ce réduit pourrait être constitué, par exemple, parle Palais Impérial, auquel la désignation de « Citadelle » s’appliquerait plus exactement.

    La «Citadelle de Huế » est donc, en réalité, une ville fortifiée, comme certaines de nos vieilles villes de France, et MICHEL DIRE CHAIGNEAU*2, dans ses Souvenirs de Huế, caractérise bien son aspect général de la façon suivante :

« L’enceinte fortifiée de Huế, construite d’après le système de « Vauban, et dont les travaux ont été «dirigés par des Français, ressemble extérieurement à une ville de guerre européenne, moins « ses larges portes surmontées d’un pavillon chinois, qui ôtent toute « illusion aux étrangers lorsqu’ils s’en approchent» (1).

   Qui a dressé les plans de cette forteresse ? Est-ce OLIVIER DE PUYMANEL*3, un des collaborateurs de Gia-Long, comme le rapporte le Capitaine BASTIDE*4 dans une conférence citée dans le Bulletin des Amis des Vieux Huế ? C’est possible. «Cet Officier, mort à 31 ans, dit A. FAURE*5 dans son ouvrage sur Mgr PIGNEAU DE BEHAINE*6 (p. 200), avait accompli en Cochinchine une œuvre considérable que ceux qui connaissent les nombreuses fortifications à la Vauban. qu’il y éleva dans une période de dix années, ont pu apprécier et admirer.» Mais il ne faut pas oublier que le Colonel OLIVIER*7 est décédé en 1799 et que les travaux de la Citadelle de Huế n’ont commencé qu’en 1805. Ils ont donc pu être exécutés sur des plans antérieurement établis par cet officier, peut-être plans spéciaux dressés sur les lieux, mais, plus probablement, plans schématiques que l’Empereur GIA-LONG*8 fit adapter à la configuration topographique du pays.

    C’est l’Empereur GIA-LONG, en effet, qui « au 3e mois de la 3e année de son règne, en 1804. avait étudié lui-même les lieux depuis le territoire du village de Kim-Long*9 jusqu’au village de Thanh-Hà*10, en vue d’agrandir et de reconstruire sa Capitale…; il donna de sa main les mesures et les dimensions nécessaires pour la construction des remparts » (2). Cette construction, sinon conforme aux pians du Colonel OLIVIER, tout au moins inspirée, sans aucun doute, des notions de fortification qu’il avait inculquées aux Annamites, tut peut-être dirigée par des Français, comme le prétend M. DIRE CHAIGNEAU dans le passage cité, mais aucun autre document à ma connaissance ne permet de l’affirmer.

    Ces hypothèses sur la collaboration des aides européens de Gia-Long une fois formulées, il reste à montrer les considérations auxquelles obéit l’empereur pour fixer l’emplacement de sa capitale fortifiée.

     Il n’avait aucune raison pour la déplacer trop loin de Phú-Xuân*11les Nguyễn*12 avaient établi leur résidence depuis 1687. Cet endroit, en effet, répondait parfaitement aux conditions de sécurité exigées pour une capitale en pays encore troublé. Il était assez proche des montagnes pour y permettre un refuge en cas d’événements graves, et assez loin de la mer pour être à l’abri des incursions de pirates et de l’action de navires de guerre étrangers. D’autre part, les jonques marines remontaient approximativement jusqu’à Phú-Xuân. qui se trouvait ainsi, au point de vue commercial, jouir de tous les avantages d’un port du littoral, sans en avoir les inconvénients militaires ou politiques.

   Enfin, en transportant sa capitale de Kim-Long à Phú-Xuân, NGÃI VƯƠNG*13 l’avait éloignée des hauteurs de la « Tour de Confucius », qui la dominaient vers l’Ouest, etde celles du « Rempart Cham » (3), qui la commandaient au Sud, de l’autre côté du fleuve. Elle se trouvera ainsi placée pour longtemps hors de portée efficace des pièces d’ar­tillerie lisse qui auraient pu être mises en batterie sur ces collines.

    GIA-LONG aurait pu désirer la pousser le plus possible dans le coude que fait le fleuve immédiatement à l’Est de Bao-Vinh*14. de façon à mieux commander ce port, alors très important, et à avoir deux faces de la citadelle protégées par ce coude. Mais, pour adapter ainsi la citadelle au terrain, il aurait fallu lui donner une forme asymétrique et une orienta­tion différente de celle qu’elle a aujourd’hui. Aussi, GIA-LONG préfèra-t-il la construire sur le quadrilatère régulier qu’elle occupe actuel­lement, en lui accolant, pour commander Bao-Vinh, un ouvrage spécial, un « dehors » , pour parler le langage de la fortification permanente.

   Le secret du choix de cet emplacement nous est révélé par le R. P. CADIERE*15 dans son article sur la « Merveilleuse Capitale» (4). Il fallait que la face principale delà Capitale fût tournée sensible­ment vers le Sud, suivant une orientation traditionnelle, et que l’axe de l’habitation du souverain fût situé dans une des directions favo­rable de la boussole géomantique. La direction N. O.-S. E., adoptée pour cet axe, est une des directions propices, et, comme elle est en outre celle de la colline qui s’élève à trois kilomètres au Sud du fleuve et que sa forme et son emplacement ont fait appeler « l’Écran du Roi », elle permet à la porte principale d’être protégée par cet écran mystérieux contre toutes les influences néfastes, contre toutes les puissances invisibles. Enfin, les deux petites îles du fleuve, situées en amont et en aval de la Citadelle, représentent respectivement le Tigre blanc et le Dragon bleu*16, qui se trouvant ainsi, suivant les règles géomantiques, le premier à droite et le deuxième à gauche du palais du souverain assis sur son trône face au Sud, en rendent l’emplacement éminemment favorable.

REMARQUES:
(1):  MICHEL ĐỨC CHAIGNEAU: Souvenirs de Hué (Paris 1867), page 144.
(2):  S- E. Võ-Liêm. Ministre des Travaux Publics: La Capitaie du Thuận-Hóa (Huế)Bulletin des Amis du Vieux Huế, 1916, page 277.
(3):  Cote 23, sur la route de Ban-Bo à la tombe de Tự-Đức, et massif de collines à l’Est de cette cote (Carte à 1/25-000 du Service Géographique de l’Indochine).
*1: CHARLES JEAN JACQUES JOSEPH ARDANT DU PICQ (19/10/1821, Périgueux – 18/8/1870, mort au combat, Metz) est un colonel et théoricien militaire français. (Voir tous les détails: ARDANT DU PICQ).
*2: … mis à jour …

BAN TU THU
09 /2020

NOTES:
◊  Les Fortifications de la Citadelle de Hue, Colonel ARDANT DU PICQ, B.A.V.H, 1924.
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