Connaissance du Vietnam – ARTISANS travaillant LES MÉTAUX
P. HUARD1 ET M. DURAND2
École Française d’Extrême Orient, Hanoi 1954
Dès la civilisation dongsonienne (1er siècle de notre ère selon Goloubew; IVe ou IIIe siècles av. J.-C. selon Karlgren), les techniques de la métallurgie montrent un développement considérable.
Par la suite, le Nord Viêtnam avec ses mines d’or, de fer et d’argent, et l’étain du Yunnan, était le centre d’une certaine activité métallurgique. Mais il avait besoin d’importer des armes blanches du Japon (XVe et XVIe siècles) et d’acheter aux Européens de l’argent que ceux-ci échangeaient, avantageusement, contre de l’or. Il avait également besoin du plomb, de l’étain de Malacca, du cuivre du Japon, des monnaies en « spiaulter » (alliage de cuivre, de plomb et d’étain) (1755) ou en argent du Mexique (1690) (1), des canons de cuivre et de bronze et des boulets de canons (1671).
On le voit, le problème de la monnaie offrait de grandes difficultés pour une civilisation du riz.
Les ferblantiers
Ils travaillaient le fer blanc, le zinc et l’étain. Avant l’arrivée des Occidentaux, leur industrie se bornait à la fabrication des petits cônes surmontant les chapeaux, des godets servant de lampes, des boîtes à contenir l’opium et de quelques autres menus ustensiles. Depuis, elle a pris un très grand développement. L’ouvrier traditionnel travaillait assis ou accroupi, se servant énergiquement de ses mains et de ses pieds dont les deux gros orteils, ou le gros orteil et le second orteil réunis, constituaient un étau vivant, souple et solide. Cela permettait de présenter les objets travaillés sous l’incidence voulue aux outils (lime, marteau, chasse-rivet) maniés par les mains restées libres. Enfin, dans le travail de découpage, la branche dormante de la cisaille est fixée par le gros orteil, tandis que l’une des deux’ mains manoeuvre la branche mobile et que l’autre dirige la feuille métallique à sectionner. Le mot quàp exprime cette idée de saisir un objet entre le gros orteil et le second.
Les fondeurs de sapèques
Les premières sapèques et barres d’or ont été fondues à Hanoi par Lưu-xuân-Tín, suivant une technique chinoise (Tín vivait sous Lê-Thánh-Tôn, c’està-dire vers 1461).
Les sapèques courantes moulées et fondues (et non frappées) contenaient une assez grande quantité de terre mélangée au zinc.
La chaîne de fabrication était la suivante (cf. La fabrication des sapèques, in Revue Indochinoise, 1900) :
- Moulage au sable ;
- Fusion du zinc;
- Coulée du métal dans les moules;
- Triage des sapèques utilisables.
Les orfèvres
Les patrons des orfèvres sont les trois frères Trần-Hòa, Trần-Điện et Trần-Điền qui apprirent leur art en Chine vers le VIe siècle.
Une petite caisse à tiroirs renfermant les matières précieuses et les objets en cours de travail et terminée par un soufflet horizontal à piston (cái bễ) suffisait à l’orfèvre traditionnel. Le tuyau du soufflet sortant de la boîte est reçu dans une cavité creusée dans le sol. Deux briques et quelques morceaux de charbon de bois en font un fourneau. Un maillet de bois armé de métal (búa và), des poinçons à graver, quelques billots et une petite enclume complètent cette instrumentation professionnelle. A part quelques anneaux (bagues ou mailles de chaînes), il n’y avait pas de fabrication d’objets massifs. Tous les bijoux étaient faits de feuilles d’argent ou d’or, plus ou moins épaisses, repoussées, contournées ou embouties d’autant plus facilement qu’il s’agissait de métaux purs sans aucun alliage. Les bijoux d’or décapés sont trempés dans une solution bouillante et très concentrée, soit de fleurs de sophora (hoè), soit de péricarpe de tai chua (Garcinia pedunculata). On les lave ensuite dans un bain de soufre très chaud.
Les chaudronniers
Leur patron est Phạm-ngọc-Thành qui introduisit la technique chinoise au Nord Viêtnam vers 1518.
Les marmites traditionnelles à riz en cuivre martelé, aux savantes courbes contrariées, témoignent d’une technique parfaite, admirée des connaisseurs.
Les bronziers
Leur patron est le bonze Khổng-Lộ qui apprit à fondre le cuivre en Chine et diffusa sa technique au Nord Viêtnam, vers 1226. Des influences étrangères ultérieures sont à noter comme celle de Jean de la Croix, métis portugais, fondeur de canons à Hué (XVIIIe siècle). La fonte à la cire perdue a toujours été en honneur. La statue de Trần-Vũ (pagode dite du Grand Bouddha à Hanoi) et les urnes dynastiques de Hué (période Minh-Mệnh) montrent l’habileté des bronziers vietnamiens (cf. Chochod, Procédés de fonderie employés en Annam, in BEFEO, IX, 155).
Les serruriers
La culture sinoïde a connu le cadenas à cylindre et le verrou à ressort, très employé pour la fermeture des gros meubles. Dans la culture viêtnamienne traditionnelle, la serrure est inconnue et les portes des maisons se fermaient par blocage à l’aide de barres de bois.
REMARQUES :
1: PIERRE HUARD (1901, Bastia – 1983, Paris, 82 ans) est un médecin (chirurgien et anatomiste), historien de la médecine et anthropologue français, longtemps en poste en Indochine, doyen de plusieurs facultés de médecine (Hanoï, Paris), recteur de l’Université de Cocody, pionnier de l’histoire de la médecine.
Voir tous les details: Pierre HUARD.
2: MAURICE DURAND (1914, Hanoi – 1966, Paris, 52 ans) était un linguiste franco-vietnamien né à Hanoï.
VOIR TOUS LES DÉTAILS, SVP: Maurice DURAND.
(1): Cf. W, J. M. Buch, op. cit., p. 51.
Bibliographie
+ J. Silvestre. Notes pour servir à la recherche et au classement des monnaies et médailles d’Annam et delà Cochinchine française (Saigon, Imprimerie nationale, 1883).
+ G. B. Glover. The plates of Chinese, Annamese, Japanese, Corean coins, of the coins used as amulets of the Chinese Government andprivate notes (Noronha and C° Hongkong, 1895).
+ Lemire. Les arts et les cultes anciens et modernes de l’Indochine (Paris, Challamel). Conférence faite le a 29 décembre à la Société française des Ingénieurs coloniaux.
+ Désiré Lacroix. Numismatique annamite,1900.
+ Pouchat. L’industrie des Josticks au Tonkin, in Revue Indochinoise, 1910-1911.
+ Cordier. Sur l’art annamite, in Revue Indochinoise, 1912.
+ Marcel Bernanose. Les ouvriers d’art au Tonkin (La décoration du métal, Les bijoutiers), in Revue Indochinoise, n. s. 20, juillet-décembre 1913, p. 279 à 290.
+ A. Barbotin. L’industrie des pétards au Tonkin, in Bulletin économique de l’Indochine, septembre- octobre 1913.
+ R. Orband. Les bronzes d’art de Minh-Mang, in BAVH, 1914.
+ L. Cadière. L’art à Hué, in BAVH, 1919.
+ M. Bernanose. Les arts décoratifs au Tonkin, Paris, 1922.
+ C. Gravelle. L’art annamite, in BAVH, 1925.
+ Albert Durier. Décoration annamite, Paris, 1926.
+ Beaucarnot (Claude). Éléments de technologie céramique à l’usage des sections de céramique des écoles d’art en Indochine, Hanoi, s. d., 1980.
+ L. Gilbert. Industrie de l’Annam, in BAVH,1981.
+ Lemasson. Renseignements sur les méthodes de pisciculture dans le delta tonkinois, 1933, p. 707.
+ H. Gourdon. L’art de l’Annam, Paris, 1933.
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+ Guilleminet. Préparations à base de graines de soja dans l’alimentation des Annamites, in Bulletin économique de l’Indochine, 1935.
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+ Henri Bouchon. Artisanat indigène et métiers de complément, in Indochine, 26 septembre 1940.
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+ Passignat. Les maîtres laqueurs de Hanoi, in Indochine, 6 février 1941.
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+ Serène (R.). Une technique traditionnelle annamite : l’Estampe, in Indochine, 1er octobre 1942.
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+ L. Bezacier. Essais sur l’Art annamite, Hanoi, 1944.
+ Paul Boudet. Le papier annamite, in Indochine, 27 janvier et 17 février 1944.
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+ Crevost et Petelot. Catalogue des produits de l’Indochine, tome VI. Tannins et tinctoriaux (1941). [Les noms viêtnamiens des produits sont donnés.]
+ Aug. Chevalier. Premier inventaire des bois et autres produits forestiers du Tonkin, Hanoi, Ideo, 1919. (Les noms viêtnamiens sont donnés.)
+ Lecomte. Les bois de l’Indochine, Agence Économique de l’Indochine, Paris, 1926.
+ R. Bulteau. Notes sur la fabrication des poteries dans la province de Bình-định, in BAVH, 1927, p. 149 et 184 (contient une bonne liste des différentes poteries du Bình-định avec leurs figurations et leurs noms locaux).
+ Despierres. Le boulier chinois, in Sud-Est, 1951.
NOTES :
◊ Source: Connaissance du Vietnam, P. HUARD & M. DURAND. Paris, Imprimerie Nationale. École Francaise d’Extrême-Orient, Hanoi, 1954.
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BAN TU THƯ
05 /2022