Connaissance du Vietnam – LES ARTISANS
P. HUARD1 ET M. DURAND2
École Française d’Extrême Orient, Hanoi 1954
En dehors des artisans adonnés aux techniques de l’alimentation et de l’habillement (voir chapitres XIV, XV, XVI), les artisans peuvent être répartis ainsi :
1° Artisans travaillant les métaux (ferblantiers, bronziers, bijoutiers, nielleurs, fondeurs de sapèques, fabricants d’armes) ;
2° Artisans céramistes (potiers, faïenciers, porcelainiers, tuiliers, briquetiers) ;
3° Artisans travaillant le bois (menuisiers, ébénistes, charpentiers, imprimeurs, papetiers, charpentiers de marine, sculpteurs) ;
4° Artisans s’occupant du travail des textiles (tisserands de coton, de jute, de ramie ou de soie, vanniers, voiliers, cordiers, fabricants de parasols, de nattes, de sacs, de stores, de chapeaux, de manteaux et de hamacs) ;
5° Artisans travaillant le cuir (tanneurs et cordonniers) ;
6″ Artisans travaillant la laque ;
7° Sculpteurs sur bois et sur pierre ;
8° Artisans travaillant l’écaille, la corne et l’ivoire ;
9° Artisans fabriquant des objets cultuels.
La plupart de ces artisans étaient libres. Mais la Cour de Hué ne différenciait pas l’artiste de l’artisan et avait de véritables ateliers d’Etat comprenant des brodeurs, des incrusteurs, des nielleurs, des laqueurs, des sculpteurs, des ivoiristes et des bijoutiers.
L’outillage viêtnamien est un outillage simple, léger, facile à construire, parfaitement adapté aux problèmes que doit résoudre un artisan adroit, patient, et qui ne cherche pas à économiser son temps. La. vis et le boulon sont le plus souvent remplacés par des coins de bois. On citera comme d’un emploi très courant : le levier, le chevalet, le coin à fendre, la presse à coin, la roue à dents, l’essieu et la roue locomotrice, la force hydraulique (moulin à eau, pilon à décortiquer le riz), le moteur humain à pédales, le semoir-herse, le rouet et le piston (dont l’origine paraît remonter à une culture synthétique sud-orientale dans le sein de laquelle se serait spécialisée la culture sinoviêtnamienne).
Mercier a bien mis en vedette les caractéristiques de cet outillage. Mais nous sommes loin d’avoir, à ce sujet, l’équivalent du China at work de Rudolf Hummel.
Les artisans sont en même temps des commerçants. Ils faisaient leurs comptes, comme les Romains et les Européens médiévaux, sans utiliser le calcul à la plume. Celui-ci était remplacé par le boulier chinois. On attribue à Lương-thế-Vinh (docteur de 1463), un ouvrage d’arithmétique intitulé Toán pháp đại thành (Méthode très complète de calcul) qui aurait été un remaniement d’un ouvrage de Vũ-Hữu, un de ses contemporains, traitant de l’emploi de l’abaque. L’abaque est encore employée par les commerçants chinois, mais elle paraît abandonnée par leurs collègues viêtnamiens. Despierres en a fait une récente étude.
Les enseignes des magasins indiquent quelquefois le nom des propriétaires. Assez souvent, elles ne reproduisent qu’une raison sociale, composée de deux, quelquefois de trois caractères chinois (ou de leur transcription latine), considérés comme de bon augure.
Le caractère (chữ Hán) xương (en transcription chinoise tch’ang) qui signifie « splendeur » et « prospérité » donne Vỉnh Phát Xương « prospérité perpétuellement florissante » ou Mỷ Xương « splendeur charmante ». D’autres raisons sociales seront Vạn Bảo (dix mille joyaux), Đại Hưng (grand accroissement), Quý Ký (noble marque) et Yên Thành (paix parfaite).
Une pratique fréquente chez les commerçants était celle du đốt vía đốt van.
Les clients ont tantôt des vía lành ou des vía tốt (âmes bonnes, âmes favorables) tantôt des vía xấu ou des vía dữ (âmes mauvaises, méchantes). Si l’âme du premier client est xấu ou dữ et s’il s’en va sans rien acheter, et après avoir longuement marchandé, tous les clients qui le suivront risqueront de l’imiter.
Dans ce cas, le marchand doit conjurer le mauvais sort, en coupant et en brûlant sept petits morceaux de paille de son propre chapeau si le client est un homme, et neuf si c’est une femme. Il prononce au même moment la conjuration suivante :
Đốt vía , đốt van, đốt thừng rắn gan , đốt con rắn ruột, lành vía thì ở, dữ vía thì đi.
« Je brûle les âmes, je brûle l’homme au foie dur, je brûle la femme aux entrailles dures, que les âmes bonnes restent, que les méchantes s’en aillent.»
C’est poussés par la même superstition que les pirates, quand ils se mettaient en opération, tuaient le premier passant qu’ils rencontraient.
REMARQUES :
1: PIERRE HUARD (1901, Bastia – 1983, Paris, 82 ans) est un médecin (chirurgien et anatomiste), historien de la médecine et anthropologue français, longtemps en poste en Indochine, doyen de plusieurs facultés de médecine (Hanoï, Paris), recteur de l’Université de Cocody, pionnier de l’histoire de la médecine.
Voir tous les details: Pierre HUARD.
2: L’École française d’Extrême-Orient (EFEO) est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel français spécialisé dans l’étude des civilisations de l’Asie. Il a été fondé en 1898 par Paul Doumer. L’École française d’Extrême-Orient fait partie du Réseau des écoles françaises à l’étranger.
VOIR TOUS LES DÉTAILS, SVP: L’École française d’Extrême-Orient.
Bibliographie
+ J. Silvestre. Notes pour servir à la recherche et au classement des monnaies et médailles d’Annam et delà Cochinchine française (Saigon, Imprimerie nationale, 1883).
+ G. B. Glover. The plates of Chinese, Annamese, Japanese, Corean coins, of the coins used as amulets of the Chinese Government andprivate notes (Noronha and C° Hongkong, 1895).
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+ Désiré Lacroix. Numismatique annamite,1900.
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+ Cordier. Sur l’art annamite, in Revue Indochinoise, 1912.
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+ C. Gravelle. L’art annamite, in BAVH, 1925.
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+ Henri Bouchon. Artisanat indigène et métiers de complément, in Indochine, 26 septembre 1940.
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+ Crevost et Petelot. Catalogue des produits de l’Indochine, tome VI. Tannins et tinctoriaux (1941). [Les noms viêtnamiens des produits sont donnés.]
+ Aug. Chevalier. Premier inventaire des bois et autres produits forestiers du Tonkin, Hanoi, Ideo, 1919. (Les noms viêtnamiens sont donnés.)
+ Lecomte. Les bois de l’Indochine, Agence Économique de l’Indochine, Paris, 1926.
+ R. Bulteau. Notes sur la fabrication des poteries dans la province de Bình-định, in BAVH, 1927, p. 149 et 184 (contient une bonne liste des différentes poteries du Bình-định avec leurs figurations et leurs noms locaux).
+ Despierres. Le boulier chinois, in Sud-Est, 1951.
NOTES :
◊ Source: Connaissance du Vietnam, P. HUARD & M. DURAND. Paris, Imprimerie Nationale. École Francaise d’Extrême-Orient, Hanoi, 1954.
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BAN TU THƯ
05 /2022