Contes et Légendes annamites – Histoire du Trạng nguyên TRÌNH
ANTONY LANDES1
Admimistrateur des Affaires indigènes(Extrait des Excursions et Reconnaissances. Contes et Légendes annamites2 Saigon, Imprimerie coloniale 1886, p.240).
Dans le pays de Hải dương il y avait une jolie fille douée de toutes les beautés et de toutes les vertus. Elle avait un profond génie naturel et voulait prendre un époux qui lui donnât pour fils un roi dominateur du monde, mais elle ne le trouva pas. Elle épousa le công Luân et, au bout de quelques mois, fut enceinte.
Quand les neuf mois et dix jours de sa grossesse furent accomplis, elle ordonna à son mari de lui construire un réduit élevé (1), parfaitement clos de tous côtés. « Lorsque j’accoucherai, lui ditelle, laissez-moi faire toute seule et ne venez pas regarder; si vous ne vous en absteniez pas il arriverait malheur. ” Le mari lui obéit.
Trois jours après l’accouchement cette dame voulut éprouver son mari ; elle coucha l’enfant sur un hamac, toutes les portes closes, et dit à son mari : “ce J’ai tout fermé, n’entrez pas pour le voir » ; là-dessus elle partit. Au bout de trois jours le mari eut envie de voir l’enfant ; il grimpa dans la charpente et vit l’enfant couché dans le hamac. A peine l’eut-il aperçu que l’enfant cria : ” Je vous salue ! mon père qui venez voir votre fils. »
Le père fut saisi de frayeur et descendit au plus vite. Sa femme revint et le réprimanda. ” Je cherchais, dit-elle, à faire de votre fils un prince dominateur du monde, mais lui et vous vous avez voulu qu’il ne fût que le premier lettré (2) d’une époque de troubles. A votre guise, mais pour moi, vous ne me reverrez plus. » Ce discours achevé, elle disparut.
Le père et le fils demeurèrent ensemble. À dix-sept ans Trình alla passer ses examens à la cour des Mạc (3) et fut reçu avec le titre de trạng nguyên; mais comme il était interieurement partisan de la dynastie Lê, il feignit d’être malade et resta chez lui sans vouloir occuper d’emploi dans l’administration des Mạc. Par la suite il lit semblant d’être aveugle et se retira dans une pagode.
Lorsque les Mạc vaincus se retirèrent à Thái nguyên, Trình envoya son frère Trại au secours des Lê, lui disant de s’adresser à lui lorsqu’il se trouverait dans quelque difficulté. Trại était son demi-frère, né de la même mère, mais d’un autre père, Il habitait le Thanh hoá, avait passé ses examens à la cour des Lê et avait aussi obtenu le titre de trạng nguyên. Mais son génie était de beaucoup inférieur à celui de Trình qui, en toutes choses, était le maître et lui marquait la conduite à tenir. Seulement Trình, qui avait passé ses examens chez les Mạc, ne voulait pas les servir et dirigeait son frère qui servait les Lê. Quant à lui, feignant d’être aveugle, il vivait dans une pagode.
Lorsque les Mạc eurent de nouveau été battus et rulouiés jusqu’à Lạng sơn, Trại envoya un émissaire à son frère pour lui demander ce qu’il fallait faire. Le messager vint à la pagode de Trình, mais celui-ci, pendant trois jours, ne lui donna aucune réponse. Un malin enlin, au point du jour, Trình alla au lieu où était couché ce messager, lui arracha sa natte et le chassa en disant: ” Pars vite! bien vite! »
Le messager courut rapporter la chose à Trại. Celui-ci branla la tête et dit : « Mon frère nous dit de nous hâter et que nous vaincrons. » En effet les Mạc lurent battus et forcés de se réfugier en Chine. Les soldats des Lê les avaient poursuivis jusqu’aux défilés des frontières, quand devant eux ils trouvèrent Trình qui leur barrait le chemin. Le commandant de l’avant-garde prévint Trại qui accourut avec le roi Trang tông et demanda à Trình pourquoi il arrêtait ainsi la marche de l’armée. Celui-ci répondit: ” Ne poursuivez pas les rebelles aux abois (4). Je veux un jour remplir envers Mạc mon devoir de sujet; je ne puis les laisser périr. Je vous prie de rappeler vos troupes et de laisser les Mạc fuir en Chine. » Le roi Lê et ses troupes écoulèrent Trình et se retirèrenl en arrière.
Dans le royaume d’Annam, depuis la dynastie des Hồng bàng jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu d’autre trạng nguyên digne de ce titre que le trạng Trình. Il savait lout ce qui était arrivé cinq cents ans avant lui , tout ce qui devait arriver cinq cents ans après lui, et il en avait composé un livre (4). Mais le roi Minh mạng, irrité de ses prédictions, défendit d’en parler sous peine de mort, de sorte qu’il n’est pas connu du peuple.
NOTES :
1: ANTONY CHARLES LANDES (1850-1893) fut le premier érudit (dans la seconde moitié du XIXe siècle) à s’intéresser à la collecte et à l’enregistrement des contes populaires vietnamiens. Au XXe siècle, il poursuit ce travail avec Nguyễn văn Ngọc (1890–1942), Nguyễn Đổng Chi (1915–1984), Tô Nguyệt Đình (1920–1988), Lê Hương (1922–1976) et Sơn Nam (1926–2008). Ces personnes ont grandement contribué à éviter l’absurdité qu’un jour au Vietnam ‘il n’y a pas beaucoup de mères et de grands-mères capables de raconter à nouveau quelques contes de fées du pays à leurs enfants et petits-enfants’. LANDES est écrit en français pour que les Français et les Européens puissent le lire, si peu de gens le connaissent!
2: CONTES ET LEGENDES ANNAMITES – Le livre – est écrit par ANTONY CHARLE LANDES – a enregistré des histoires populaires dans le folklore de cette époque – en particulier à Nghệ An – par deux conteurs – un général (devin) et un confucéen (érudit) – tous deux habitants de cette province.
Ce livre comporte deux parties : Partie 1 contient 127 histoires du passé et des légendes enregistrées textuellement à partir de la narration; Partie 2 contient 22 blagues qui sont écrites avec l’essentiel selon le récit. Attachés aux histoires sont des notes dédiées aux Européens pour qu’ils comprennent mieux la culture vietnamienne. Ce livre a été publié par Imprimerie Coloniale, Saigon en 1886.
(1): Au moment de raccouchement les femmes se retirent dans une pièce séparée ou même dans une petite case construite pour la circonstance.
(2): Trạng nguyên.
(3) Il est très difficile de rapporter les événements contés ici à l’histoire des Mac, telle qu’elle se trouve dans l’Histoire annamite, de M. Trương vĩnh ký.
(4) On peut voir dans le Livre des récompenses et des peines (trait.-St. Julien, p. 195) te précepte qui dirige ici la conduite de Trịnh.
(5) Il doit exister au Tonquin, sous une forme ou une autre, un recueil de prédictions attribuées au trạng Trình et prédisant des révolutions pour notre époque. Sans cela on ne comprendrait pas pourquoi Minh mạng en a interdit la circulation. Nous avons déjà vu qu’on lui attribuait une prédiction d’après laquelle la dynastie Nguyễn ne compterait que quatre rois. (Voir ci-dessus le XXVIII qui contient un autre récit relatif aux origines du trạng Trình).
REMARQUE :
* Les lettes italiques et manuscule, les notes en indice et les images sont réalisés par Ban Tu Thư thanhdiavietnamhoc.com
VOIR SVP :
◊ Ce titre en vietnamienne: Chuyện ông TRẠNG TRÌNH.
BAN TU THƯ
5 /2022