Contes et Légendes annamites – Histoire de Trần văn Thắc

ANTONY LANDES1
Admimistrateur des Affaires indigènes (Extrait des Excursions et Reconnaissances. Contes et Légendes annamites2 Saigon, Imprimerie coloniale 1886, p.106-108).

      Il y avait un certain Trần văn thắc dont les parents étaient morts, et qui était réduit à une extrême pauvreté et à la condition de porteur de poisson. Un devin, voyant à l’inspection de ses traits qu’ils annonçaient une autre fortune, lui demanda s’il avait encore ses parents; il répondit qu’ils étaient morts; le devin lui demanda alors où ils étaient enterrés, et découvrit que c’était à la mauvaise situation de leur tombeau qu’était due la misère de Trần văn thắc ; il lui indiqua donc un lieu plus favorable dont l’occupation devait le conduire à la fortune dans un délai de trois ans.

      Dans une famille riche on avait élevé un jeune garçon dans la pensée de le marier plus tard à la fdle de la maison, seulement on leur avait laissé ignorer ce projet. Quand les deux jeunes gens furent devenus grands ils s’aimèrent et, craignant que leur liaison ne fut découverte, résolurent de s’enfuir. Ils convinrent que trois jours après le garçon viendrait pendant la nuit frapper à la porte de la fdle et qu’ils partiraient ensemble. Mais il tomba malade et ne put venir au rendez-vous. La fdle cependant avait pris une cassette d’argent et attendait inutilement que son amanf vint la chercher.

      Cette nuit là Trần văn thắc se réveilla vers la cinquième veille et se mit à transporter son poisson. Le temps était très froid, de sorte qu’il tremblait et, de son fléau (à porter les paniers) il heurta la porte de la jeune fdle. Celle-ci crut que c’était le signal attendu, elle descendit donc et donna sa cassette à Trần văn thắc. Celui-ci, de son côté, crut qu’elle l’engageait pour porter ce paquet et se mit en marche. Ce ne fui qu’an bout [107] d’un temps assez long que la fille s’aperçut qu’elle n’avait pas affaire à son amant.

     Elle se mit à pleurer et querella Trần văn thắc sur l’erreur qu’il avait laissé se commettre; l’autre s’excusa comme il put, et la fille, ne pouvant retourner chez ses parents, se décida à en ftiire son mari. Elle lui fit revêtir de beaux habits qu’elle avait dans sa cassette, et ils allèrent tous les deux dans un autre pays.

     , ils virent un individu riche qui avait une maison que personne ne pouvait habiter, à cause des fantômes qui la hantaient. La fille dit à Trần văn thắc de demander au propriétaire la permission d’y coucher une nuit. Le matin venu, le propriétaire lui demanda s’il n’avait rien vu , l’autre lui répondit que non. Le propriétaire l’y laissa alors coucher deux autres nuits.

     Pendant la nuit le génie de la richesse révéla à Trần văn thắc que dans les pièces latérales il y avait des trésors enfouis. « Voici longtemps que je les surveille, lui dit-il, maintenant je te les remets. D’un côté il y a de l’argent, de l’autre de l’or. » Trần văn thắc entendit une voix qui lui parlait ainsi mais ne vit personne. Il alla aussitôt dans les pavillons et y trouva les trésors.

      Le lendemain matin le propriétaire lui demanda si pendant ces deux nuits il n’avait rien vu. Trần văn thắc s’informa s’il avait quelque chose à lui dans la maison, l’autre lui répondit qu’il n’y avait rien laissé. Trần văn thắc raconta cela à sa maîtresse qui lui dit : « Ce sont donc des trésors que le génie des richesses vous a réservés. Allez au village faire connaissance avec quelques personnes afin de les envoyer faire au propriétaire la proposition de vous vendre cette maison puisqu’il ne l’habite pas. » Le propriétaire, qui l’avait achetée trente barres d’argent, la donna pour trente-cinq. La fille dit alors à Trần văn thắc : “Tout ceci est l’oeuvre du Ciel qui nous avait destinés l’un à l’autre.”

[108]  Par la suite Trần văn thắc étudia tant qu’il l’ut reçu aux examens et devint un grand mandarin. Voilà la fortune qu’il devait à l’habileté du géomancien qui avait déterminé l’emplacement du tombeau de ses parents. Il instruisit de toute cette aventure le père de sa femme.

NOTES :
1:  ANTONY CHARLES LANDES (1850-1893) fut le premier érudit (dans la seconde moitié du XIXe siècle) à s’intéresser à la collecte et à l’enregistrement des contes populaires vietnamiens. Au XXe siècle, il poursuit ce travail avec Nguyễn văn Ngọc (1890–1942), Nguyễn Đổng Chi (1915–1984), Tô Nguyệt Đình (1920–1988), Lê Hương (1922–1976) et Sơn Nam (1926–2008). Ces personnes ont grandement contribué à éviter l’absurdité qu’un jour au Vietnamil n’y a pas beaucoup de mères et de grands-mères capables de raconter à nouveau quelques contes de fées du pays à leurs enfants et petits-enfants’. LANDES est écrit en français pour que les Français et les Européens puissent le lire, si peu de gens le connaissent!

2:  CONTES ET LEGENDES ANNAMITES – Le livre – est écrit par ANTONY CHARLE LANDES – a enregistré des histoires populaires dans le folklore de cette époque – en particulier à Nghệ An – par deux conteurs – un général (devin) et un confucéen (érudit) – tous deux habitants de cette province.
    Ce livre comporte deux parties : Partie 1 contient 127 histoires du passé et des légendes enregistrées textuellement à partir de la narration; Partie 2 contient 22 blagues qui sont écrites avec l’essentiel selon le récit. Attachés aux histoires sont des notes dédiées aux Européens pour qu’ils comprennent mieux la culture vietnamienne. Ce livre a été publié par Imprimerie Coloniale, Saigon en 1886.

(1)  Ông Thần tài.

REMARQUE
* Les lettes italiques et manuscule, les notes en indice et les images sont réalisés par Ban Tu Thư vietnamhoc.net

VOIR SVP :
◊  Ce titre en vietnamienne:  Truyện dân gian An Nam – Chuyện anh Trần văn Thắc – Vận may hay Số phần?.

BAN TU THƯ
5 /2022