VIENG-CHAN – Partie 1
Par le Capitaine LUNET DE LAJONQUIÈRE
Ancien attaché à l’École française d’Extrême-Orient
Parmi les royaumes thaï qui s’établirent et se développèrent dans les vallées de la Ménam et du Mékong, le royaume de Lan-xang (Million d’éléphants) fut un des plus prospères. Sa renommée devint telle au XVII siècle, que les Hollandais envoyèrent de Java un ambassadeur nommé VAN WUSTHOFF auprès de son roi. Cet ambassadeur, reçu dans Vieng-Chan, la capitale, en raconte les splendeurs: assise sut la rive gauche du grand fleuve, à proximité de vastes plaines cultivables, ses murs renfermaient des pagodes riches et nombreuses, des palais, des habitations opulentes, toute une foule gaie couverte de soie et d’or, ne rêvant que fêtes et chansons.
Cependant que vivait en joie cet insouciant royaume, se formaient, à l’Orient comme à l’Occident, des nuages menaçants. GIA-LONG, ayant reconstitué l’unité annamite, avait jeté ses regards jusque par delà les montagnes de l’Ouest, vers les peuples qu’il considérait comme tributaires. Le mouvement de réaction qui entraîna ses successeurs dans des difficultés avec les nations européennes, les empêcha de poursuivre sa politique; ils se contentèrent d’offrir aux royaumes du Mékong une amitié un peu hautaine. C’est à ces relations qu’on doit, sans doute, les quelques traces d’art annamite que nous avons pu relever dans les ruines de Vieng-Chan.
A l’occident, le royaume thaï du Siam, définitivement débarrassé de la domination cambodgienne, sortait vainqueur de ses démêlés avec le Pégou et la Birmanie. La dynastie nouvelle réorganisait le royaume et cherchait à établir son influence sur tous les groupements de race thaï. En 1827, le péril devint imminent. Effrayé des prétentions siamoises, le roi ANU qui régnait alors sur le Lan-xang, se retourna vers la cour d’Annam qui, occupée ailleurs, négligea de lui venir en aide. Une armée siamoise, commandée par le général BODIN, franchit les solitudes des forêts clairières, surprit la ville, qui ne paraît pas s’être défendue, et s’en empara. Le roi ANU se réfugia en Annam d’abord, puis dans le Trân-ninh où par la suite il fut pris. Le général siamois rasa les palais et les cases, pilla et saccagea les pagodes; il emporta l’or, l’argent, les soieries, les manuscrits des bibliothèques, les statues du Buddha en métaux précieux, entre autres le fameux Buddha d’émeraude (Prah-Kêo) pour lequel on construisit plus tard une merveilleuse pagode à Bang-kok; il rassembla les habitants de la ville et des environs, les poussa devant lui sur la rive droite, et au delà vers les bas pays qui manquaient de bras.
Alors la solitude se fit dans l’ancienne capitale. La végétation intense envahit la ville et recouvrit l’emplacement des rues désertes et des cases renversées. Les élégants, mais frêles édifices, déjà attaqués par les démolisseurs siamois, s’écroulèrent peu à peu sous les orages, disloqués et tordus par les racines puissantes des banians. La mission DE LAGRÉE ne trouva que des ruines où VAN WUSTHOFF avait trouvé des palais et des foules en fête.
Mais ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui. La ville morte s’éveille; la brousse disparaît; une gaie rangée de boutiques s’allonge sur le bord du fleuve; l’ancien palais des rois, rasé jusqu’au sol, sort de nouveau de terre; les familles emmenées par l’envahisseur reviennent dans la vieille patrie désormais paisible et sûre. Les pagodes dévastées sont restaurées; de nouveau les murs se couvrent de fraîches peintures et les thats écroulés redressent leur blanche pyramide sommée d’une flèche de cuivre. Un simple arrêté a fait ce miracle. Vieng-Chan est devenue le siège du Résident supérieur et la capitale administrative du Laos unifié. Au moment précis où commence cette ère nouvelle, il nous a paru intéressant de fixer l’image de la vieille ville et surtout d’étudier avec quelque détail les nombreuses pagodes qui en font l’ornement et que des restaurations malhabiles ne tarderont sans doute pas à déformer.
LA VILLE
Plan général
Elle s’étend sur la rive gauche du Mékong, entre l’embouchure du Nam-Pasak en amont et celle d’un petit ruisseau en aval, ces deux embouchures étant distantes de 5 kilomètres 200 en suivant le contour de la rive. Celle-ci est en effet recourbée en un arc de cercle presque régulier, embarrassé dans sa partie convexe par un immense banc de sable large de plus de 1 kilomètre en certains points (V. fig. 1).
Le faubourg de Khon-ta prolonge la ville, s’étendant sur une longueur de plus de 1.500 mètres en amont du Nam-Pasak sur un seul rang de maisons. C’est dans ce faubourg que se trouvent le Trésor, l’Agence des Messageries fluviales et une maison de commerce, qui importe de l’alcool, de l’absinthe, des vins et exporte du caoutchouc.
La ville proprement dite, où sont situés tous les bâtiments de l’administration, est entourée par une ancienne muraille, qui part du confluent même du Nam-Pasak, pour rejoindre le confluent du Huei d’aval. Celte enceinte suit une direction à peu près parallèle à la rive du fleuve, dont elle se tient éloignée de 4 à 500 mètres environ, avec un renflement qui porte cette largeur à 1 kilomètre dans la partie amont qui paraît avoir été la plus peuplée.
Mur ď enceinte
Le mur d’enceinte peut être divisé en trois sections: la première, de l’embouchure du Nam-Pasak au bastion de la route de Luong-Prabang; la deuxième entre le bastion de la route de Luong-Prabang et celui de la route du That-Luong; la troisième entre le bastion de la route du That-Luong et l’embouchure du Huei.
1re Section
Le Nam-Pasak sert de fossé à cette partie de la fortification qui se développe sur une longueur de près de 1 kilomètre. Toute cette partie affecte (autant qu’on peut en juger par un croquis rapide fait dans de très mauvaises conditions de visée à travers la brousse), la forme à peu près régulière d’un front bastionné dont les saillants seraient garnis de fortins circulaires formant tambours. Le mur était en briques sans crépissage et pouvait avoir de 4 à 6 mètres de haut, avec banquette intérieure en terre. Cette banquette est actuellement envahie parla brousse el il est difficile de suivre la crête du mur, qui du reste est en partie éboulé.
2e Section
Deux portes fortifiées donnent passage, l’une à la route de Luong-Prabang à l’ouest, l’autre à celle du That-Luong à l’est. Ces portes étaient formées de bastions hexagonaux appuyés par un de leurs côtés au mur d’enceinte.
Les murs de ces bastions, hauts de 8 mètres, sont encore assez bien conservés. Ils sont couronnés d’une sorte d’ornement en forme de fer de lance d’une épaisseur de 80 centimètres environ, avec 1 mètre de diamètre et 1m 50 de hauteur. Ces ornements sont séparés l’un de l’autre entre les points extrêmes de leur grand diamètre horizontal par un intervalle d’environ 0 m 40.
Des créneaux pour fusils et canons sont ménagés au pied de ces murailles, qui n’ont pas de banquette intérieure permettant d’atteindre le haut.
Entre ces deux portes, le mur d’enceinte ne présente guère de particulier qu’une brisure fortifiée à un changement de direction. Cette brisure est formée d’un redan flanqué et protégé à son saillant par un tambour hexagonal. Dans cette partie le mur n’est élevé que de 4 mètres environ et éboulé sur presque toute sa longueur. Il est du reste entièrement recouvert par la végétation.
3e Section
Entre la porte du That-Luong et le Huei, le mur d’enceinte ne présente rien de particulier. Il est du reste presque complètement écroulé et couvert de terre. Sur le monticule formé par ces décombres ont poussé de gros arbres, et une brousse épaisse, formée en grande partie d’arbustes épineux, s’étend à droite et à gauche sur une largeur de plus de 200 mètres.
Le fossé creusé le long de la face extérieure est en partie comblé.
… mis en jour …
BAN TU THU
09/2020
NOTES:
1: Abréviation de dhâtugarbha « reliquaire ”.
2: … mis en jour …